Grand incendie de Londres - Vev

Grand incendie de Londres

Un article de Vev.

Jump to: navigation, search
Image:Great Fire London.jpg
Détail d’un tableau de 1666 représentant le grand incendie de Londres (artiste inconnu). On peut voir la tour de Londres à droite et le pont de Londres à gauche, avec la cathédrale Saint-Paul à l’arrière-plan, au cœur des plus hautes flammes.

Le grand incendie de Londres est une forte conflagration qui frappa le centre de Londres (Angleterre) du dimanche 2 septembre au mercredi 5 septembre 1666<ref>Toutes les dates sont données dans le calendrier grégorien, qui n'a été adopté en Angleterre qu'en 1752.</ref>. Le feu ravagea la Cité de Londres à l’intérieur du vieux mur romain et menaça, sans toutefois les atteindre, le quartier aristocratique de Westminster (aujourd’hui le West End), le palais du roi Charles II, et la plupart des quartiers pauvres de banlieue<ref>Porter, 69–80.</ref>. Il consuma 13 200 maisons, 87 églises paroissiales, la cathédrale Saint-Paul, et la majorité des bâtiments des autorités de la Cité. On estime qu’il détruisit les maisons d’environ 70.000 des 80.000 habitants de la Cité<ref>Tinniswood, 4, 101.</ref>. Le bilan des morts est inconnu et généralement considéré comme ayant été faible, étant donné que seuls quelques décès vérifiés furent consignés. Ce raisonnement a récemment été contredit en vertu du fait que les morts des pauvres et des membres des classes moyennes n’étaient consignées nulle part, et que la chaleur du brasier a pu incinérer de nombreuses victimes, ne laissant pas de cadavres identifiables.

Le feu débuta dans la boulangerie de Thomas Farriner (ou Farynor), dans Pudding Lane, peu après minuit, le 2 septembre, et se propagea rapidement. L’emploi des moyens de lutte contre l'incendie et la création de coupe-feu par la démolition furent retardés de façon critique par l’indécision du lord-maire de Londres, Sir Thomas Bloodworth. Lorsque les démolitions à grande échelle furent ordonnées, durant la nuit du dimanche, le vent avait déjà attisé l’incendie de la boulangerie, rendant de telles mesures inutiles. Le lundi, le feu se propagea vers le nord et le cœur de la Cité. L’ordre dans les rues laissa la place au chaos tandis que se répandaient des rumeurs selon lesquelles des étrangers étaient à l’origine de l’incendie. Les peurs des sans-abris se focalisèrent sur les Français et les Hollandais, ennemis de l’Angleterre dans le cadre de la Deuxième Guerre anglo-hollandaise (1665-1667) ; ces groupes d’immigrés furent victimes de lynchages et d'agressions. Le mardi, l’incendie s’étendit sur la plus grande partie de la Cité, détruisant la cathédrale Saint-Paul et traversa la Fleet pour menacer la cour de Charles II à Whitehall. Dans le même temps, des actions de lutte coordonnées contre le feu se mirent en place. On considère que la lutte pour circonscrire l’incendie a été gagnée grâce à deux facteurs : le fort vent d’est tomba, et la garnison de la tour de Londres utilisa sa poudre à canon pour créer des coupe-feu efficaces, qui empêchèrent le feu de se propager plus encore vers l’est.

L'incendie eut des conséquences économiques et sociales désastreuses. L’évacuation de Londres et l'émigration des réfugiés furent fortement encouragées par Charles II, qui craignait une révolte parmi ces derniers. Londres fut reconstruite selon le tracé des rues tel qu'il était avant l’incendie, même si de nombreuses propositions radicales furent faites<ref>Reddaway, 27.</ref>.

Sommaire

Londres dans les années 1660

Image:Great fire of london map-fr.jpg
La Cité de Londres en 1666 ; en rose, la zone ravagée par le Grand Incendie.

Dans les années 1660, Londres était de loin la plus grande ville du Royaume-Uni, avec une population estimée à un demi-million d’habitants, plus que le total de la population des cinquante villes les plus peuplées d’Angleterre<ref>Morgan, 293-4.</ref>. Comparant Londres à la magnificence baroque de Paris, John Evelyn la qualifiait d'« agrégat de maisons de bois anarchique, nordique », et signalait les risques d’incendie dus au bois et à la densité urbaine<ref>John Evelyn en 1659, cité dans Tinniswood, 3. Cette section se base sur Tinniswood, 1-11, sauf indication contraire.</ref>. Par « anarchique », Evelyn entendait non planifié et improvisé, résultant de la croissance démographique et d’un étalement urbain non régulé. Londres était devenue de plus en plus surpeuplée à l’intérieur de son mur, qui datait de l’époque romaine, et elle s’était étendue au-delà du mur par l'apparition de taudis insalubres comme Shoreditch, Holborn et Southwark, et par l’annexion de la ville de Westminster<ref>Porter, 80.</ref>.

À la fin du Modèle:XVIIe siècle, la Cité proprement dite, c’est-à-dire la zone comprise entre le mur de la Cité et la Tamise, n’était qu’une partie de Londres, couvrant 2,8 km² (700 acres<ref>Les travaux de référence donnent une superficie de 330 acres à l’intérieur du mur romain (voir par exemple Sheppard, 37), bien que Tinniswood donne une superficie d’un mille carré (667 acres).</ref>) et abritant environ 80 000 habitants, soit un sixième des habitants de Londres. La Cité était entourée d’une couronne de faubourgs où vivaient la plupart des Londoniens. La Cité était déjà le centre commercial de la capitale, le plus grand marché et port d’Angleterre, dominé par les marchands et les manufactures<ref>Hanson, 80.</ref>. L’aristocratie dédaignait la Cité et vivait soit à la campagne, au-delà des taudis des faubourgs, ou plus à l’ouest dans le quartier privilégié de Westminster (l’actuel West End), où se trouvaient Whitehall et la cour de Charles II. Les plus riches préféraient vivre à distance de la Cité encombrée, polluée et insalubre, en particulier après l’épidémie de peste bubonique (la « grande peste de Londres ») de 1665.

Les relations entre la Cité et la Couronne étaient tendues. Durant la Première guerre civile (1642-1651), la Cité de Londres avait été un bastion républicain, et la riche et dynamique capitale avait encore la capacité d’être une menace pour Charles II, comme l’avaient montré plusieurs soulèvements républicains à Londres au début des années 1660. Les magistrats de la Cité appartenaient à la génération qui avait combattu durant la guerre civile, et ils se souvenaient que l'appropriation du pouvoir absolu par Charles Ier avait mené à ce traumatisme national<ref>Voir Hanson, 85-88, pour le caractère républicain de Londres.</ref>. Ils étaient décidés à couper court à toute ambition similaire chez son fils, et lorsque le grand incendie menaça la ville, ils refusèrent les soldats et autres secours que leur offrit Charles. Même dans des circonstances aussi critiques, l’idée de voir les troupes royales impopulaires envoyées dans la Cité leur était insupportable. Lorsque Charles prit les commandes des mains de l’inefficace lord-maire, l’incendie était déjà incontrôlable.

Modèle:Panorama2

Risques d’incendie dans la Cité

Le tracé des rues de la Cité était essentiellement médiéval, formant un réseau de rues pavées étroites, tortueuses et surpeuplées. Elle avait subi plusieurs incendies importants avant 1666, le plus récent datant de 1632. Les constructions en bois et en toit de chaume était interdites depuis des siècles, mais ces matériaux peu coûteux continuaient à être utilisés<ref>Hanson, 77-80. Cette section se base sur Hanson, 77-101, sauf indication contraire.</ref>. La seule zone bâtie majoritairement en pierre était le riche centre de la Cité, où les demeures des marchands et des courtiers formaient des îlots spacieux, cernés par des paroisses dans lesquelles chaque parcelle de terrain constructible était utilisée pour faire face à la rapide croissance de la population. Dans ces paroisses travaillaient beaucoup d'artisans dont les activités représentaient des risques d’incendie : fondeurs, forgerons, vitriers, théoriquement interdits en ville, mais tolérés dans les faits. Les habitations mêlées à ces sources de chaleur et de pollution étaient conçues de façon dangereuse. Les encorbellements (saillies des étages supérieurs) étaient caractéristiques des bâtiments en bois de six ou sept étages. La surface qu’ils occupaient au sol était faible, mais ils maximisaient leur usage de l’espace disponible en « empiétant », selon le mot d’un contemporain, sur la rue en augmentant progressivement la taille de leurs étages supérieurs. Le risque de propagation d’incendie posé lorsque ces encorbellements se rejoignaient presque au sommet des rues les plus étroites était connu : « comme il facilite une conflagration, de même il entrave le remède », écrivit un observateur<ref>Rege Sincera (pseudonyme), ‘‘Observations both Historical and Moral upon the Burning of London, September 1666’’, cité dans Hanson, 80.</ref>, mais « l’avarice des citoyens et la connivence [la corruption] des magistrats » agissaient en faveur des encorbellements. En 1661, Charles II décréta l'interdiction des fenêtres en saillie et des encorbellements, mais elle ne fut pratiquement pas appliquée par les autorités locales. La mesure suivante de Charles II, en 1665, alertait sur le risque d’incendie dû à l’étroitesse des rues et autorisa l’emprisonnement des bâtisseurs récalcitrants et la démolition des bâtiments dangereux. Encore une fois, elle n’eut que peu d’impact.

Les berges du fleuve furent une zone-clef de l'évolution du grand incendie. La Tamise offrait son eau à la lutte contre l’incendie et la possibilité de fuir par bateau, mais les entrepôts et magasins de combustibles des quartiers les plus pauvres, le long du fleuve, présentaient le plus haut risque d’incendie de toute la ville. Le long des quais, les demeures croulantes en bois et les masures en papier goudronné des pauvres s’entassaient entre « les vieux bâtiments de papier et les matières les plus combustibles de goudron, bitume, chanvre, résine et lin qui s’accumulaient tout autour »<ref>Lettre d’un correspondant inconnu à Lord Conway, septembre 1666, cité par Tinniswood, 45-46.</ref>. À Londres pullulait également la poudre noire (ou poudre à canon), en particulier au bord du fleuve. Il en restait beaucoup dans les demeures des citoyens qui remontaient à l’époque de la guerre civile, vu que les anciens membres de la New Model Army de Cromwell avaient conservé leurs mousquets et la poudre nécessaire pour les charger. Entre cinq et six cents tonnes de poudres étaient entreposées dans la tour de Londres, à l’extrémité nord du pont de Londres. Les vendeurs des quais en possédaient également des stocks importants, entreposés dans des barils de bois.

Le pont de Londres, seul lien physique entre la Cité et la rive sud de la Tamise, était lui-même couvert de maisons et s’était révélé un piège mortel lors de l’incendie de 1632. Le dimanche à l’aube, ces maisons brûlaient, et Samuel Pepys, qui observait l’incendie depuis la tour de Londres, nota qu’il s’inquiétait beaucoup pour ses amis qui vivaient sur le pont<ref>All quotes from and details involving Samuel Pepys come from his diary entry for the day referred to.</ref>. On craignait que les flammes puissent traverser le pont pour menacer le borough de Southwark, sur la rive sud, mais un espace vide entre les bâtiments du pont servit de coupe-feu<ref>Bruce Robinson, "London’s Burning: The Great Fire"</ref>.

Le mur romain de 5,5 mètres de haut qui entourait la Cité menaçait d’enfermer les fuyards dans la zone incendiée. Lorsque la berge du fleuve fut en feu, passer par l’une des huit portes du mur devint le seul moyen de s’échapper. Durant les deux premiers jours, peu de gens songèrent à fuir totalement la Cité : ils se contentaient d’emporter tout ce qu’ils pouvaient jusqu’à la zone « sûre » la plus proche, généralement l’église de la paroisse ou les abords de la cathédrale Saint-Paul, pour devoir se déplacer de nouveau quelques heures plus tard. Certains déménagèrent leurs biens « quatre à cinq fois » dans la même journée<ref>Gough MSS London14, Bodleian Library, cité par Hanson, 123.</ref>. La perception d’une nécessité de fuir au-delà des murs ne prit racine que tard dans la journée du lundi, et il y eut alors des scènes de quasi-panique autour des portes étroites, alors que les réfugiés affolés tâchaient de sortir avec leurs paquets, carrioles, chevaux et chariots.

Le facteur crucial qui gêna la lutte contre l’incendie fut l’étroitesse des rues. Même en temps normal, la cohorte de carrioles, chariots et piétons dans les rues provoquait de fréquents embouteillages, et durant l’incendie, les voies furent en outre bloquées par des réfugiés qui campaient à proximité des biens qu’ils avaient pu sauver ou s’enfuyaient en s’éloignant des flammes, gênant les équipes de démolition et de lutte contre l’incendie qui cherchaient à s’en rapprocher.

La lutte contre les incendies au XVIIe siècle

Image:Firehooks.1612.png
« Crochets à incendie » utilisés pour lutter contre un feu à Tiverton dans le Devon (1612).

Les incendies étaient courants dans la ville, surpeuplée et majoritairement construite en bois, avec ses foyers ouverts, bougies, fours et dépôts de combustibles. Il n’y avait pas de corps de sapeurs-pompiers, mais la milice locale londonienne, les Trained Bands ou Train-band, était généralement disponible pour répondre aux alertes générales. Surveiller les risques d’incendie était l’une des tâches dévolue au guet de la ville, composé d’un millier d’hommes et de crieurs publics patrouillant les rues la nuit<ref>Hanson, 82. Cette section se base sur Tinniswood, 46–52, et Hanson, 75–78, sauf indication contraire.</ref>. Les citadins se débrouillaient également seuls pour s’occuper des incendies, avec une réussite certaine. Les cloches des églises sonnaient pour avertir les habitants d’un incendie dangereux, et ceux-ci se réunissaient en hâte pour appliquer les techniques à leur disposition : la démolition et l’eau. La loi obligeait les tours de chaque église paroissiale à contenir l’équipement nécessaire à ces efforts : de longues échelles, des seaux de cuir, des haches et des « crochets à incendie » (firehooks) pour abattre les bâtiments<ref>. Un crochet à incendie était une lourde perche d’environ neuf mètres de long avec un crochet à une extrémité qui devait être accroché aux poutres du plafond d’une maison menacée par l’incendie pour l’abattre au moyens de cordes et de poulies (Tinniswood, 49).</ref> Parfois, des bâtiments de grande taille étaient rasés de façon rapide et efficace au moyen d’explosions contrôlées de poudre à canon. Cette méthode drastique pour créer des coupe-feu fut fréquemment employée à la fin du Grand Incendie, et les historiens modernes pensent que c’est grâce à cela que le feu fut finalement maîtrisé<ref>Reddaway, 25.</ref>.

Détruire les maisons menacées par un dangereux incendie au moyen de crochets ou d’explosifs était souvent un moyen efficace de contenir les dégâts, mais dans ce cas précis, la démolition fut retardée pendant des heures par l’indécision et l’incapacité du lord-maire à donner les ordres nécessaires<ref>Tinniswood, 52.</ref>. Lorsque les ordres du roi de « n’épargner aucune maison » arrivèrent, l’incendie avait détruit beaucoup plus de maisons, et les démolisseurs ne pouvaient plus travailler dans les rues envahies par la foule.

L’utilisation d’eau pour éteindre les flammes fut également contrariée. En principe, un système de tuyaux en orme desservait 30 000 maisons via un grand château d'eau à Cornhill que le fleuve remplissait à marée haute, et il existait aussi un réservoir d’eau de pluie à Islington<ref>Voir Robinson, (en) ‘‘London:Brighter Lights, Bigger City’’ et Tinniswood, 48-49.</ref>. Il était souvent possible d’ouvrir une canalisation proche d’un édifice en feu et de la connecter à un tuyau pour arroser les flammes ou remplir des seaux. En outre, Pudding Lane était proche du fleuve, et théoriquement, toutes les rues menant à la boulangerie et aux bâtiments adjacents auraient dû être utilisées par deux colonnes d’hommes, l’une se passant des seaux pleins jusqu’à l’incendie et l’autre des seaux vides jusqu’au fleuve. Cela n’eut pas lieu, ou du moins avait cessé lorsque Pepys contemplait les flammes depuis le fleuve, au milieu de la matinée du dimanche. Dans son journal, Pepys commente le fait que personne ne tentait d’éteindre l’incendie, tout le monde préférant le fuir, se pressant d’emporter leurs biens et de tout laisser aux flammes. L’incendie se propagea jusqu’au fleuve sans rencontrer beaucoup de résistance et s’attaqua rapidement aux entrepôts des quais, ce qui non seulement coupa l’accès au réservoir d’eau que constituait le fleuve, mais mit aussi le feu aux norias situées sous le Pont de Londres qui pompaient l’eau du château d’eau de Cornhill : l’accès au fleuve et la réserve d’eau devinrent tous deux inaccessibles.

Londres disposait d’une technologie avancée sous la forme de fourgons d’incendie, qui avaient été employés dans le cadre de précédents incendies de grande ampleur. Mais à la différence des utiles crochets, ces larges pompes s’étaient rarement révélées assez flexibles ou fonctionnelles pour faire une grande différence. Seules quelques-unes étaient munies de roues, les autres étaient montées sur des traîneaux sans roues<ref>Voir Hanson, qui dit qu’ils possédaient des roues (76), et Tinniswood, qui assure le contraire (50).</ref>. Il fallait les déplacer sur de grandes distances et ils arrivaient généralement trop tard. Étant munis de bouches, mais pas de tuyaux, leur portée était en outre limitée<ref>Les fourgons d’incendie, qui avaient reçu une patente en 1625, étaient de simples pompes à bras actionnée par de longs manches à l’avant et à l’arrière (Tinniswood, 50).</ref>. À cette occasion, un nombre inconnu de fourgons furent amenés ou tirés dans les rues, certains à travers toute la Cité. L’eau des conduits qu’ils étaient censés utiliser était déjà inaccessible, mais la rive du fleuve était encore accessible en certains points. Plusieurs engins basculèrent dans la Tamise lorsqu’on tenta de les manœuvrer pour remplir leurs réservoirs. La chaleur dégagée par les flammes était déjà trop forte pour que les autres engins puissent s’approcher suffisamment pour être efficaces : ils n’atteignirent même pas Pudding Lane.

Déroulement de l’incendie

Les expériences personnelles de nombreux Londoniens au cours de l’incendie peuvent être aperçues dans des lettres et des mémoires. Les deux plus fameux auteurs de journaux intimes de l’époque, Samuel Pepys et John Evelyn, notèrent les événements et leurs propres réactions jour après jour, et s’efforcèrent de rester informés de ce qui se passait dans la Cité et au-delà. Par exemple, ils se rendirent tous deux le quatrième jour dans le parc des Moorfields, au nord de la Cité, pour y voir le campement des réfugiés, et ils en ressortirent choqués. Leurs journaux sont les sources principales de toutes les analyses modernes du désastre. Les ouvrages les plus récents, ceux de Hanson (2001) et Tinniswood (2003), se basent également sur les brèves mémoires de William Taswell (1651 - 1682), un jeune écolier de Westminster School, âgé de quatorze ans en 1666.

Après deux étés pluvieux en 1664 et 1665, Londres avait subi une exceptionnelle sécheresse depuis novembre 1665, et le bois des bâtiments était extrêmement sec après le long été de 1666. L’incendie de la boulangerie de Pudding Lane s’étendit d’abord plein ouest, attisé par un fort vent d’est.

Dimanche

Image:Fire thumb sunday.png
Dommages approximatifs le soir du dimanche 2 septembre<ref>Les cartes au jour le jour sont basées sur Tinniswood, 58, 77, 97.</ref>.

Un incendie se déclara dans la boulangerie de Thomas Farriner peu après minuit le dimanche 2 septembre. La famille était piégée à l’étage, mais put sortir par une fenêtre et se réfugier dans la maison d’à côté, sauf une servante trop terrifiée pour sauter et qui fut la première victime des flammes<ref>Tinniswood 42–43.</ref>. Les voisins essayèrent d’aider à éteindre l'incendie ; une heure plus tard, le parish constable arriva et jugea qu’il valait mieux détruire les maisons adjacentes afin d’éviter que le feu se propage. Les propriétaires protestèrent, et on requit la présence du lord-maire, sir Thomas Bloodworth, le seul à pouvoir leur imposer cette décision. Lorsque Bloodworth arriva, les flammes consumaient les demeures voisines et se dirigeaient vers les entrepôts de papiers et magasins inflammables de la rive du fleuve. Les pompiers les plus expérimentés réclamaient la démolition, mais Bloodworth refusa, prétendant que la plupart des demeures étaient louées et que leurs propriétaires étaient introuvables. On pense généralement que Bloodworth était un béni-oui-oui n’ayant pas les capacités requises pour le poste de Lord-Maire, et qu’il succomba à la panique lorsqu’il dut faire face à cette situation d’urgence<ref>Tinniswood, 44.</ref>. Pressé, il eut ce mot fameux : « Fi ! Une femme pourrait l’éteindre en pissant dessus » et s’en alla. Après la destruction de la Cité, Samuel Pepys écrivit dans son journal, à la date du 7 septembre 1666 : « Les gens décrient par-dessus tout la simplicité [la stupidité] de mon lord-maire en général, et plus particulièrement dans sa gestion de l’incendie, l’accusant de tous les maux. »

Vers 7 heures du matin, Pepys, qui était officier haut gradé du Navy Board, se rendit au sommet de la tour de Londres pour avoir un aperçu de l’incendie. Il nota dans son journal que la tempête à l’est s’était transformée en déluge de flammes. Elles avaient incendié plusieurs églises, 300 maisons (selon son estimation), et atteint la rive du fleuve. Les maisons sur le pont de Londres brûlaient. Monté sur un bateau pour inspecter l’étendue des dégâts autour de Pudding Lane de plus près, Pepys décrit un incendie « lamentable », « chacun essayant de récupérer ses biens, et les jetant dans le fleuve ou les emportant sur des barges ; de pauvres gens restant dans leurs demeures jusqu’à ce que l’incendie soit tout proche, et se ruant alors sur des bateaux, ou grimpant d’un escalier à un autre sur le bord du fleuve ». Pepys continua vers l’ouest le long du fleuve jusqu’à la cour, à Whitehall, « où des gens m’accostèrent, et je leur fis un récit qui les plongea dans le désarroi, et la rumeur parvint jusqu’au roi. Ainsi fus-je convoqué, et racontai au roi et au duc de York ce que je vis, et me commandèrent d’aller à mon lord-maire de sa part, et de lui commander de n’épargner aucune maison, mais de les abattre devant le feu dans chaque direction. » Le frère de Charles, Jacques, duc de York, offrit les services des Royal Life Guards pour aider à la lutte contre l’incendie<ref>Journal de Pepys, 2 septembre 1666.</ref>.

À un mille à l’ouest de Pudding Lane, près des escaliers de Westminster, le jeune écolier William Taswell vit quelques réfugiés arriver à l’abbaye de Westminster à bord de barges louées, ne portant que de simples couvertures comme habits<ref>Tinniswood, 93.</ref>. Les prix des possesseurs de barges venaient d’exploser, et seuls les plus chanceux purent s’assurer une place à leur bord.

Le feu s’étendit rapidement grâce au vent. Vers le milieu de la matinée du dimanche, les citadins cessèrent leurs tentatives de l’éteindre et s’enfuirent. Leur masse, ajoutée à celle de leurs ballots et de leurs carrioles, emplit les rues, bloquant les pompiers et leurs voitures à cheval. Pepys prit un fiacre pour rentrer de Whitehall en ville, mais dut poursuivre à pied après la cathédrale Saint-Paul. Les charrettes à bras remplies de biens et les piétons étaient toujours en train de fuir l’incendie, lourdement chargés. Les églises paroissiales qui n’étaient pas directement menacées se remplissaient de meubles et de biens de valeurs, qui devraient sous peu être déménagés de nouveau. Pepys trouva le maire Bloodworth en train d’essayer de coordonner la lutte contre les flammes et les destructions « comme une femme sur le point de s’évanouir », répondant au message du roi en geignant qu’il était bien en train d’abattre des maisons, « mais le feu nous rattrape plus rapidement que nous ne pouvons le faire ». S’accrochant à sa dignité, il refusa les soldats que lui proposait le duc Jacques et rentra chez lui se coucher<ref>Tinniswood, 53.</ref>. Charles descendit le fleuve depuis Whitehall à bord de la barge royale pour inspecter les événements. Il découvrit qu’en dépit de ce qu’avait déclaré Bloodworth à Pepys, des maisons n’étaient toujours pas abattues. Avec audace, il bafoua l’autorité de Bloodworth et ordonna des destructions massives à l’ouest de la zone touchée par l’incendie<ref>‘‘London Gazette’’, 3 septembre 1666.</ref>. Le retard rendit ces manœuvres en grande partie inutiles, l’incendie étant déjà incontrôlable.

Le dimanche après-midi, 18 heures après que l’alarme ait été sonnée à Pudding Lane, le feu était devenu un embrasement généralisé éclair qui générait son propre climat. L’effet de cheminée provoqua une gigantesque remontée d’air chaud partout où les courants d’air étaient réduits par le bâti, comme au niveau des jetées, laissant un vide au niveau du sol. Les forts vents qui en résultèrent n’éteignirent pas le feu, comme on pourrait le croire<ref>Hanson, 102–105.</ref>, bien au contraire : ils fournirent de l’oxygène aux flammes, et les turbulences provoquées par la montée de la colonne d’air firent culer le vent erratiquement au nord et au sud de la direction principale du grand vent, qui soufflait toujours de l’est.

En début de soirée, Pepys revint sur le fleuve avec son épouse et quelques amis pour étudier l’incendie. Ils ordonnèrent au batelier de les amener aussi près du feu que possible ; « et tout le long de la Tamise, avec le visage au vent, vous étiez presque brûlé par une pluie de braises ». Lorsque ces « braises » devinrent insupportables, le groupe se rendit dans une taverne de la rive sud du fleuve et y resta jusqu’à la tombée de la nuit : ils purent alors voir l’incendie gagner le pont de Londres et traverser le fleuve, « comme une seule arche de flammes de ce côté-ci à l’autre du pont […] : voir cela me fit pleurer ».

Lundi

Image:Fire thumb monday.png
Dommages approximatifs le soir du lundi 3 septembre.

À l’aube du lundi 3 septembre, le feu s’étendait principalement vers le nord et l’ouest, les turbulences provoquées par l’incendie poussant les flammes à la fois vers le sud et le nord<ref>La section « Lundi » est basée sur Tinniswood, 58-74, sauf indication contraire.</ref>. La progression vers le sud fut essentiellement bloquée par le fleuve lui-même, mais elle avait enflammé les maisons du Pont de Londres et menaçait de le traverser pour frapper le borough de Southwark, sur la rive du sud. Il fut épargné grâce à un coupe-feu préexistant sur le pont, une large brèche entre les bâtiments qui avait sauvé la rive sud de la Tamise lors de l’incendie de 1632 et la préserva de nouveau cette fois-ci<ref>(en) Robinson, "London’s Burning: The Great Fire" sur le site de la BBC.</ref>. La poussée parallèle vers le nord conduisit les flammes au cœur de la Cité. Plusieurs observateurs mettent l’accent sur le désespoir et le sentiment d’impuissance qui semble avoir saisi les Londoniens en ce deuxième jour, et le manque d’efforts faits pour sauver les quartiers riches menacés par les flammes, comme la Royal Exchange (bourse et magasin combinés) et les magasins de biens de consommation de Cheapside. La Royal Exchange prit feu à la fin de l’après-midi et ne fut plus qu’une carcasse fumante après quelques heures. John Evelyn, un courtisan, écrivit dans son journal :

L’incendie était si universel, et les gens si abasourdis, que dès le commencement, je ne sais par quel désespoir ou tour du destin, ils luttèrent à peine pour l’éteindre, si bien qu’on n’entendait ni ne voyait rien d’autre que cris et lamentations, et créatures distraites ne cherchant même pas à sauver leurs propres biens, si étrange était la consternation qui les frappait<ref>Toutes les citations de John Evelyn sont tirées de son journal.</ref>.
Image:London-gazette.gif
La London Gazette de la semaine du 3 au 10 septembre, avec un récit du Grand Incendie.

Evelyn vivait à six kilomètres de la Cité, à Deptford, et ne fut donc pas témoin des débuts du désastre. Le lundi, il se rendit à Southwark en carrosse avec d’autres personnes aisées pour contempler ce qu’avait vu Pepys la veille : la Cité brûlant de l’autre côté du fleuve. L’incendie s’était nettement étendu : « la Cité tout entière prise dans de terrifiantes flammes près de la rive ; toutes les maisons du Pont, tout Thames Street, et en remontant vers Cheapside, en descendant vers les Trois Crânes, se consumaient maintenant »<ref>Evelyn, 10.</ref>. Dans la soirée, Evelyn nota que le fleuve était couvert de barges et de bateaux chargés de biens en train de fuir. Il observa un grand exode de voitures à bras et de piétons à travers les étroites portes de la Cité, se rendant dans les terrains non bâtis au nord et à l’est, « qui à des milles à la ronde étaient jonchés de biens mobiliers de toutes sortes, et de tentes érigées pour abriter à la fois les gens et ce qu’ils avaient pu emporter avec eux. Ô misérable et calamiteux spectacle ! »

Dans la cité menacée, des soupçons naquirent selon lesquels l’incendie n’était pas un accident. Les tourbillons entraînaient des étincelles et des éclats enflammés sur de longues distances, qui allaient se loger dans les toits de chaume et les gouttières en bois, provoquant de nouveaux départs de feu apparemment sans lien avec l’incendie majeur. La rumeur courut dès lors qui voulait que ces nouveaux départs fussent provoqués sciemment. La deuxième Guerre anglo-hollandaise fit porter les soupçons sur les étrangers. La peur et la suspicion régnaient, le bruit courait qu’une invasion était imminente et que des agents étrangers avaient été vus en train de jeter des « boules de feu » dans des maisons, ou pris avec des grenades ou des allumettes<ref>Hanson, 139.</ref>. Une vague de violence urbaine s’ensuivit<ref>Reddaway, 22, 25.</ref>. William Taswell fut témoin du pillage et de la destruction du magasin d’un peintre français, et il vit un forgeron attraper un Français dans la rue et lui assener un coup de barre de fer sur le crâne. La peur du terrorisme fut grandement aidée par la rupture des communications, comme les infrastructures étaient dévorées par les flammes. Le General Letter Office, qui traitait le courrier de tout le pays, brûla tôt dans la matinée du lundi. La London Gazette parvint tout juste à éditer son numéro du lundi avant que les bâtiments de l’imprimeur ne partent en fumée (ce numéro traitait essentiellement de ragots de la bonne société, avec une petite note concernant un incendie déclaré le dimanche matin qui « se poursuit avec une grande violence »). Le pays tout entier dépendait de ces infrastructures, et le vide qu’elles laissèrent fut rempli par la rumeur. Les religieux prétendirent également avoir affaire à de nouvelles Conspirations des poudres. Le lundi, la suspicion entraîna panique et paranoïa collective, si bien que les Trained Bands comme les Coldstream Guards se consacrèrent moins à la lutte contre l’incendie qu’à l’arrestation ou au sauvetage de l’ire de la foule (voire les deux) des étrangers, des catholiques, ou des personnes à l’allure louche.

Image:James.II.jpg
Jacques, duc de York, futur Jacques II.

Les habitants, en particulier les plus fortunés, désespéraient de sauver leurs biens de l’incendie, une aubaine pour les pauvres en bonne santé qui furent embauchés comme porteurs (et se contentèrent parfois de dérober purement et simplement lesdits biens), en particulier les possesseurs de charrettes et de bateaux. Loueur une charrette coûtait deux shillings le dimanche ; le lundi, le prix grimpa jusqu’à quarante livres, une petite fortune (équivalente à plus de 4000 livres de 2005<ref>Hanson, 156–57.</ref>). Il semble que quiconque possédait une charrette ou un bateau à faible distance de Londres se fut frayé un chemin jusqu’à la Cité pour saisir ces opportunités, les charrettes aidant à bloquer les portes étroites sur lesquelles se ruaient les habitants en fuite. Le chaos aux portes était tel que les magistrats ordonnèrent la fermeture des portes dans l’après-midi du lundi, espérant forcer les habitants à se concentrer sur la lutte contre les flammes plutôt que sur le sauvetage de leurs possessions. Cette mesure ne porta pas ses fruits et fut annulée le lendemain.

Alors même que les rues cédaient à la violence, en particulier aux portes, et que l’incendie faisait rage hors de tout contrôle, le lundi marqua le début des actions organisées. Bloodworth, qui, en tant que lord-maire, était responsable de la coordination de la lutte contre les flammes, avait semble-t-il quitté la Cité : son nom n’apparaît dans aucun récit contemporain des événements du lundi<ref>Tinnisworth, 71.</ref>. Dans cet état d’urgence, Charles outrepasse une nouvelle fois les autorités de la Cité et nomma son frère Jacques, duc de York, en charge des opérations. Jacques installa des postes de commande autour du périmètre de l’incendie et embaucha des citadins des classes inférieures dans des équipes de pompiers bien payées et nourries. Trois courtisans furent chargés de la gestion de chaque poste, avec suffisamment d’autorité pour ordonner des démolitions. Ce geste visible de solidarité venant de la Couronne avait pour but de mettre fin aux appréhensions des citoyens d’être considérés comme financièrement responsable de la destruction de maisons. Jacques et ses gardes patrouillèrent dans les rues tout le lundi, sauvant les étrangers de la foule et tentant de maintenir l’ordre.

Mardi

Image:Fire thumb tuesday.png
Dommages approximatifs le soir du mardi 4 septembre. L’incendie ne s’étendit pas significativement le mercredi 5.

Le mardi 4 septembre fut la journée où les dégâts furent les plus importants<ref>La section « Mardi » est basée sur Tinniswood, 77–96.</ref>. Le poste de commande du duc de York à Temple Bar, à la jonction du Strand et de Fleet Street, était censé stopper l’avancée de l’incendie vers l’ouest et le palais de Whitehall. Jacques espérait que la Fleet formerait un coupe-feu naturel et disposa ses hommes le long de la rivière, entre le Fleet Bridge et la Tamise. Cependant, tôt dans la matinée du mardi, les flammes bondirent par-dessus la Fleet, poussées par le vent d’est, et déborda les hommes du duc, qui durent courir pour le rattraper. Au palais, la consternation était de mise devant l’avancée implacable du feu : « Oh, la confusion qui régnait alors à la cour ! » écrit Evelyn.

Image:The Great Fire of London, with Ludgate and Old St. Paul's.JPG
La cathédrale Saint-Paul en flammes. Peinture à l’huile anonyme, v. 1670.

Travaillant enfin selon un plan préétabli, les pompiers de Jacques avaient également créé un large coupe-feu au nord de l’incendie. Il contint l’incendie jusqu’à la fin de l’après-midi, puis les flammes bondirent à travers et commencèrent à détruire les luxueux commerces de Cheapside.

Tous avaient cru que la cathédrale Saint-Paul serait un refuge inviolable, avec ses épais murs de pierre et le coupe-feu naturel que formait la place vide qui l’entourait. Elle était pleine des biens qu’avaient pu sauver les citadins et ses cryptes étaient occupées par les stocks des imprimeurs et libraires de Paternoster Row, située non loin de là. Le bâtiment était cependant en cours de réparation et de nombreux échafaudages en bois l’entouraient, qui prirent feu dans la nuit du mardi au mercredi. Le jeune William Taswell, quittant l’école, se tenait sur les escaliers de Westminster et regarda les flammes encercler la cathédrale, puis les échafaudages en feu enflammer les poutres du toit. En l’espace d’une demi-heure, le plafond principal fondit, et les livres et papiers de la crypte s’enflammèrent dans un grondement. « Les pierres de Saint-Paul volaient comme des grenades, la coulée fondue courait dans les rues comme un torrent, et les pavés mêmes luisaient d’une chaleur féroce, telle que ni cheval ni homme ne pouvait les fouler », nota Evelyn dans son journal. La cathédrale ne fut bientôt plus qu’une ruine.

Durant la journée, les flammes commencèrent à se diriger vers l’est à partir des alentours de Pudding Lane, face au vent d’est et en direction de la tour de Londres et de ses réserves de poudre. Après avoir attendu toute la journée l’aide demandée aux pompiers officiels de Jacques, occupés à l’ouest, la garnison de la Tour décida de s’occuper elle-même des choses et créa des coupe-feu en faisant exploser des maisons aux alentours, ralentissant efficacement l’avancée des flammes.

Mercredi

Le vent tomba le mardi soir, permettant aux coupe-feu creusés par la garnison d'être efficaces dès le lendemain matin, mercredi 5 septembre<ref>La section « Mercredi » est basée sur Tinniswood, 101–10, sauf indication contraire.</ref>. Pepys traversa la cité fumante, se brûlant les pieds, et grimpa au sommet de la flèche de Barking Church, d'où il contempla la Cité en ruines, « la plus triste vision de désolation que j'aie jamais vue ». De nombreux incendies mineurs continuaient à brûler, mais le Grand incendie était achevé. Pepys visita les Moorfields, un vaste terrain vague situé juste au nord de la Cité, y vit un grand campement de réfugiés sans abri, et nota que le prix du pain aux alentours du parc avait doublé. Evelyn se rendit également aux Moorfields, qui étaient devenus le principal lieu de ralliement des sans-abri, et fut horrifié à la vue des nombreux désespérés qui s'y trouvaient, certains dans des tentes, d'autres dans des abris bâtis avec les moyens du bord : « beaucoup [étaient] sans le moindre haillon ou ustensile indispensable, sans lit ni planche [...] réduits à la plus extrême misère et pauvreté<ref>Cité par Tinniswood, 104.</ref> ». Evelyn fut impressionné par la fierté de ces Londoniens, « presque morts de faim et de dénuement, ne demandant pourtant pas le moindre penny de soulagement ».

La peur de terroristes étrangers et d'une invasion française ou hollandais était toujours aussi haute parmi les victimes de l'incendie, et durant la nuit du mercredi au jeudi éclata une panique générale dans les camps des Moorfields et d'Islington. Une lumière dans le ciel au-dessus de Fleet Street donna naissance à une rumeur selon laquelle 50 000 immigrants français et hollandais s'étaient soulevés et marchaient vers les Moorfields pour terminer ce que l'incendie avait commencé : tuer les hommes, violer les femmes et voler leurs maigres biens. La foule terrifiée se rua dans les rues, s'attaquant à tous les étrangers qu'elle croisant. D'après Evelyn, ce n'est qu'« avec grand mal et les pires difficultés » qu'ils furent apaisés et rejetés dans les Moorfields par les Trained Bands, les Life Guards et les membres de la cour. La tension était telle que Charles craignait une révolte générale de Londres contre la monarchie. La production et la distribution de nourritures étaient descendues à zéro, et Charles annonça que la Cité serait approvisionnée en pain quotidiennement, et que des marchés sûrs seraient établis autour de la ville. Ces marchés n'étaient là que pour la vente et l'achat ; il ne fut pas question d'aider bénévolement.

Bilan

Image:Londoners-Lamentation.gif
The Londoners Lamentation, une chanson populaire de 1666 traitant de l'incendie et des dégâts causés par lui.

Les victimes directes de l'incendie connues sont rares et on suppose traditionnellement que le total des victimes fut également faible. Porter donne le chiffre de huit morts<ref>Porter, 87.</ref>, et Tinniswood parle de moins de dix morts, quoiqu'il ajoute que quelques morts ont dû passer inaperçus et qu'il dut y avoir des morts dans les campements provisoires, en plus des victimes brûlées et intoxiquées<ref>Tinniswood, 131–35.</ref>. Hanson entre en désaccord avec l'hypothèse selon laquelle il n'y eut que de rares victimes, et énumère les survivants morts de faim et de froid durant l'hiver froid qui s'ensuivit, dont, par exemple, le dramaturge James Shirley et son épouse. Hanson prétend également que « c'est faire preuve de crédulité de croire que les seuls papistes ou étrangers battus à mort ou lynchés furent ceux sauvés par le duc de York », que les chiffres officiels n'en disent que peu sur le destin des pauvres non recensés, et que la chaleur au centre du brasier, largement supérieure à celle d'un feu de cheminée, était suffisante pour consumer entièrement des corps, ne laissant rien ou seulement quelques fragments d'os. Le feu, qui ne fut pas seulement alimenté par du bois ou du chaume, mais aussi par de l'huile, du bitume, du charbon, du suif, de la graisse, du sucre, de l'alcool, de la térébenthine et de la poudre à canon, fit fondre l'acier importé qui se trouvait sur les quais<ref>point de fusion entre 1250 et 1480° C</ref> et les grandes chaînes et verrous de fer des portes de la Cité<ref>point de fusion entre 1100 et 1650° C</ref>. Seules les dents auraient pu résister à de telles températures, mais les pauvres en avaient rarement ne fût-ce qu'une seule. Des fragments d'os anonymes n'auraient pas non plus été d'un grand intérêt pour les affamés qui fouillèrent les dizaines de milliers de tonnes de débris après les flammes à la recherche de biens de valeur, pas plus que pour les travailleurs qui déblayèrent les cendres pour la reconstruction. Hanson en appelle au sens commun et met l'emphase sur le fait que l'incendie attaqua les demeures pourries des pauvres à grande vitesse, piégeant sans doute « les vieux, les très jeunes, les lents et les infirmes » et enterrant les cendres de leurs os sous les décombres : le bilan des victimes ne serait pas alors de huit, mais de « plusieurs centaines et assez vraisemblablement de plusieurs milliers »<ref>Hanson, 326–33.</ref>.

Les dégâts matériels ont été chiffrés à 13 200 maisons, 87 églises paroissiales, 44 maisons de la Livery Company, la Royal Exchange, la Custom House, la cathédrale Saint-Paul, plusieurs prisons, dont celle de Bridewell Palace, le General Letter Office, et les trois portes occidentales de la Cité : Ludgate, Newgate et Aldersgate<ref>Porter, 87–88.</ref>. Le coût du désastre, tout d'abord chiffré à 100 millions de livres de l'époque, fut par la suite réduit au chiffre incertain de 10 millions de livres<ref>Reddaway, 26.</ref> (plus d'un milliard de livres de 2005)<ref>Pouvoir d'achat de la livre anglaise de 1264 à 2005</ref>. Evelyn pensa voir plus de « 200 000 personnes de tous rangs et statuts dispersés, installés près de piles de ce qu'ils avaient pu sauver » dans les champs vers Islington et Highgate<ref>Reddaway, 26.</ref>.

Suites de l'incendie

La nécessité de trouver au plus vite un bouc émissaire se voit dans l'acceptation de la confession d'un certain Robert Hubert, horloger français simple d'esprit, qui déclara être un agent du pape et avoir allumé le Grand incendie à Westminster<ref>La section « Suites de l'incendie » se base sur Reddaway, 27 ff. et Tinniswood, 213–37, sauf indication contraire.</ref>. Il modifia par la suite son histoire pour prétendre qu'il avait déclenché l'incendie dans la boulangerie de Pudding Lane. En dépit de doutes sur le fait qu'il fût ou non conscient de ce qu'il disait dans sa confession, Hubert fut reconnu coupable et pendu à Tyburn le 28 septembre 1666. Après sa mort, on découvrit qu'il n'était arrivé à Londres que deux jours après le début de l'incendie<ref>Tinniswood, 163–68.</ref>. Ces allégations selon lesquelles le feu avait été allumé par des catholiques furent exploitées par la propagande du parti opposé à la cour pro-catholique de Charles II, surtout durant le complot papiste et la crise d'exclusion qui suivirent sous son règne<ref>Stephen Porter, The great fire of London, Oxford Dictionary of National Biography, Oxford University Press.</ref>. Quant au boulanger, il ne fut que brièvement inquiété puisque la confession de Robert Hubert leva les soupçons sur lui <ref>http://www.museumoflondon.org.uk/English/EventsExhibitions/Special/LondonsBurning/FAQ/</ref>, il continua son activité.

Charles II craignait que le chaos et l'agitation qui suivirent l'incendie ne donnent naissance à une nouvelle rébellion londonienne. Il encouragea les sans-abri à quitter Londres pour s'installer ailleurs, proclamant rapidement que « toutes les Cités et Villes, quelles qu'elles soient, doivent sans contradiction recevoir lesdites personnes en détresse et leur permettre le libre exercice de leur commerce manuel ». On ne sait pas précisément combien partirent, et vers où, quoique certains se soient installés à Oxford.

Un tribunal spécial, la Fire Court, constitué de trois juges ou plus, fut constitué pour traiter des disputes entre locataires et propriétaires. La Fire Court décida qui devrait reconstruire, en se basant sur la richesse de chacun, et qui pouvait résilier les contrats. Cette cour siégea à Cliffords Inn entre le 27 février 1667 et septembre 1672. Les affaires étaient entendues et un verdict était généralement rendu durant la journée ; sans cette cour, les querelles légales auraient sérieusement retardé la reconstruction de la ville. Les juges travaillaient gratuitement entre trois et quatre jours par semaine ; en récompense pour leurs efforts, le peintre John Michael Wright (v. 1617-1694) fut chargé de faire les portraits des vingt-deux juges qui siégèrent à la Fire Court, dont les frères Hugh et Wadhamn Wyndham.

Image:Wren plan fire.png
Plan de John Evelyn pour la reconstruction de la Cité de Londres.

Plusieurs plans pour une reconstruction radicalement différente de la Cité furent proposés, mouvement encouragé par Charles. Si elle avait été rebâtie selon ces plans, Londres aurait rivalisé avec Paris dans sa magnificence baroque. La Couronne et les autorités de la Cité tentèrent d'établir « à qui toutes les maisons et tous les terrains appartenaient en droit », afin de négocier des compensations avec leurs propriétaires pour les modifications en profondeur qu'impliquaient ces plans, mais cette idée irréaliste dut être abandonnée. Les citadins, préoccupés par leur survie, ignorèrent en majeure partie les exhortations demandant des travailleurs pour mesurer les terrains sur lesquels des maisons s'étaient tenues, sans compter ceux qui avaient quitté la capitale ; en outre, avec le chômage engendré par l'incendie, il fut impossible de s'assurer des travailleurs pour cette tâche.

Les problèmes de propriété n'ayant pu être résolus, aucun des plans pour une Cité baroque, toute de plazas et d'avenues, ne put être réalisé ; il n'y avait personne pour négocier, et aucun moyen de calculer les compensations qui devraient être versées. À la place, l'ancien plan des rues fut recréé dans la nouvelle Cité, quelque peu amélioré dans les domaines de l'hygiène et de la prévention contre les incendies : les rues furent élargies, les quais le long de la Tamise rendus plus ouverts et accessibles, sans maisons pour gêner l'accès au fleuve, et surtout, les maisons furent bâties en briques et en pierres, pas en bois. De nouveaux bâtiments publics furent construits sur les emplacements des anciens, les plus célèbres étant sans doute la cathédrale Saint-Paul et les cinquante nouvelles églises de Christopher Wren.

Un monument commémoratif du Grand incendie, conçu à l'initiative de Charles II et dessiné par Christopher Wren et Robert Hooke, fut érigé près de Pudding Lane. Haut de 61 mètres et simplement connu comme « Le Monument », c'est un élément représentatif de Londres qui a donné son nom à une station de métro. En 1668, les accusations portées contre les catholiques furent ajoutées au Monument : « ... le plus terrifiant Incendie de cette Cité ; allumé et perpétué par la traîtrise et la malveillance de la faction papiste » (… the most dreadful Burning of this City; begun and carried on by the treachery and malice of the Popish faction). En exceptant les quatre années de règne de Jacques II (1685-1689), cette inscription ne disparut qu'en 1830.<ref> Robert Wilde , « The Great Fire of London – 1666 »

  , About.com . Consulté le 28 novembre 2006</ref>.

Un autre monument, le Golden Boy de Pye Corner, à Smithfield, marque l'endroit où l'incendie s'arrêta. Selon l'inscription, le fait que l'incendie se soit déclaré dans Pudding Lane (le « chemin du pudding ») et se soit arrêté à Pye Corner (le « coin de la tarte ») est un signe que l'Incendie fut un châtiment de Dieu pour le pêché de gourmandise commis par la Cité tout entière.

L'épidémie de peste de 1665 avait tué un sixième de la population de Londres, soit 80 000 personnes<ref>Porter, 84.</ref>, et beaucoup suggèrent, étant donné qu'il n'y eut plus d'épidémies récurrentes de peste à Londres après l'incendie<ref>Hanson, 249–50.</ref>, que ce dernier sauva des vies sur le long terme en réduisant en cendres un grand nombre de logements insalubres, avec les rats et les puces qui transmettaient la maladie. Le site du Museum of London affirme que ces deux éléments sont liés<ref>Ask the experts, Museum of London.</ref>, tandis que l'historien Roy Porter rappelle que l'incendie ne toucha pas aux taudis des banlieues, qui formaient la partie la plus insalubre de la ville<ref>« Les quartiers ravagés par la peste, situés hors des murs de la ville, qui abritaient les taudis les plus sordides — Holborn, Shoreditch, Finsbury, Whitechapel et Southwark — ne furent hélas que peu touchés par l'incendie, alors qu'être réduits en cendres était ce dont ils avaient besoin » (Porter, 80).</ref>. D'autres explications épidémiologiques ont été avancées, de même que l'observation que la maladie disparut de la quasi-totalité des villes européennes à la même époque<ref>Hanson, 249–50.</ref>.

Bibliographie

Études

  • John Evelyn, Diary and Correspondence of John Evelyn, F.R.S., Hursst and Blackett, Londres, 1854.
  • Neil Hanson, The Dreadful Judgement: The True Story of the Great Fire of London, Doubleday, New York, 2001.
  • Morgan, Oxford Illustrated History of Britain, Oxford, Oxford, 2000.
  • Samuel Pepys, The Diary of Samuel Pepys, Vol. 7, Harper Collins, Londres, 1995 (ISBN 0004990277).
  • Roy Porter, London: A Social History, Harvard, Cambridge, 1994.
  • T. F. Reddaway, The Rebuilding of London after the Great Fire, Jonathan Cape, Londres, 1940.
  • Bruce Robinson, London: Brighter Lights, Bigger City, BBC.
  • Francis Sheppard, London: A History, Oxford, Oxford, 1998.
  • Adrian Tinniswood, By Permission of Heaven: The Story of the Great Fire of London, Jonathan Cape, Londres, 2003.

Fiction

Voir aussi

Articles connexes

Notes et références

Modèle:Traduction/Référence.

{{#tag:references||group=}}

<td width="8" style="padding-left:8px"></td> <td width="50%">Modèle:Portail Londres</td>

Modèle:Portail Cliopédia
Modèle:Lien AdQ

Modèle:Lien AdQ

ar:حريق لندن الكبير br:Tan-gwall bras Londrez ca:Gran incendi de Londres cs:Velký požár Londýna (1666) da:Storbranden i London de:Großer Brand von London en:Great Fire of London eo:Granda incendio de Londono Modèle:Lien AdQ es:Gran Incendio de Londres fa:آتش‌سوزی بزرگ لندن fi:Lontoon suuri palo he:השריפה הגדולה של לונדון hu:Nagy londoni tűzvész id:Kebakaran Besar London it:Grande incendio di Londra ja:ロンドン大火 ko:런던 대화재 nl:Grote brand van Londen no:Bybrannen i London 1666 pl:Pożar Londynu w roku 1666 pt:Grande Incêndio de Londres ru:Великий лондонский пожар simple:Great Fire of London sk:Veľký požiar Londýna sr:Велики пожар у Лондону sv:Stora branden i London tr:Büyük Londra Yangını uk:Велика пожежа (Лондон) zh:倫敦大火