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Pierre Bourdieu

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Modèle:Infobox biographie2 Pierre Bourdieu est un sociologue français, né à Denguin le 1er août 1930 et mort à Paris le 23 janvier 2002. Il est devenu, à la fin de sa vie, par son engagement public, un des acteurs principaux de la vie intellectuelle française. Sa pensée a exercé une importante influence dans le champ intellectuel, en particulier sur la sociologie française d'après-guerre.

Son œuvre sociologique est dominée par une analyse des mécanismes de reproduction des hiérarchies sociales, faisant une place très importante aux facteurs culturels et symboliques. En opposition aux analyses marxistes, Bourdieu critique le primat donné aux facteurs économiques, et entend souligner que la capacité des agents en position de domination à imposer leurs productions culturelles et symboliques joue un rôle essentiel dans la reproduction des rapports sociaux de domination. Ce que Pierre Bourdieu nomme la violence symbolique, qu'il définit comme la capacité à faire méconnaître l'arbitraire de ces productions symboliques, et donc à les faire reconnaître comme légitimes, joue ainsi un rôle essentiel dans son analyse sociologique.

Le monde social, dans les sociétés modernes, apparaît, d'autre part, à Bourdieu comme divisé en ce qu'il nomme des champs. Il lui semble, en effet, que la différenciation des activités sociales a conduit à la constitution de sous espaces sociaux spécialisés dans l'accomplissement d'une activité spécifique et dotés d'une autonomie relative envers la société prise dans son ensemble, comme le champ artistique. Pour Pierre Bourdieu, ces champs sont hiérarchisés et leur dynamique provient des luttes de compétition que se livrent les agents sociaux pour y occuper les positions dominantes. Ainsi, s'il partage une vision conflictualiste du social avec les analyses marxistes, Pierre Bourdieu pense que les luttes sociales ne se réduisent pas aux conflits de nature essentiellement économique entre les classes sociales fondamentales à chaque société (lutte entre la classe ouvrière et la classe capitaliste dans les sociétés modernes, par exemple). Les conflits qui s'opèrent dans chaque champ social lui sont largement spécifiques et ne renvoient pas directement à cet affrontement fondamental. Ils trouvent leur origine davantage dans la hiérarchie de chacun des champs, et sont fondés sur l'opposition entre agents dominants et agents dominés qui cherchent à s'imposer.

Sommaire


Pierre Bourdieu a également développé une théorie de l'action, autour du concept d’habitus, qui a exercé une influence considérable dans les sciences sociales. Cette théorie cherche à montrer que les agents sociaux développent des stratégies, fondées sur un petit nombre de dispositions acquises par socialisation («l'habitus»), qui sont adaptées aux nécessités du monde social («sens pratique») bien qu'elles soient inconscientes.

Très riche (plus de 30 livres, des centaines d'articles), abordant de multiples sujets, puisant à de très nombreuses sources, l'œuvre de Bourdieu est ainsi ordonnée autour de quelques concepts recteurs : habitus comme principe d'action des agents, champ comme espace de compétition social fondamental et violence symbolique comme mécanisme premier d'imposition des rapports de domination.

Pierre Bourdieu, particulièrement à la fin de sa carrière, insistera sur la nécessité pour tout sociologue de pratiquer un retour réflexif sur lui-même, en utilisant les outils de la sociologie pour comprendre les déterminations sociales pesant sur lui dans ses analyses. Il fera ainsi de cette sociologie réflexive la condition même de l'objectivité pour toute analyse du social.

Fondée sur un va-et-vient entre la théorie et l'analyse de données empiriques, la pensée de Pierre Bourdieu a, plus qu'aucune autre, influencé la sociologie française à partir des années 1960. Elle a également été reçue dans l'ensemble des sciences sociales, de l'histoire à la philosophie. Sociologie du dévoilement, elle a fait l'objet de nombreuses critiques, qui lui reprochent en particulier une vision déterministe du social.

Biographie

Pierre Bourdieu est né en 1930 à Denguin dans le Béarn, Pyrénées-Atlantiques (64). Son père, originaire d'un milieu paysan, est facteur puis facteur-receveur<ref>Pierre Bourdieu, Esquisse pour une auto-analyse, Raisons d'agir, 2004, p. 109.</ref>.

Études
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Le lycée Louis-le-Grand, rue Saint-Jacques

Excellent élève au lycée Louis Barthou à Pau, où il est interne, un de ses professeurs, ancien élève de l'École normale supérieure, lui conseille de s'inscrire en classe préparatoire en khâgne au lycée Louis-le-Grand de Paris, en 1948.

Il est reçu à l’École normale supérieure (ENS) de la rue d'Ulm où il prépare l'agrégation de philosophie, qu'il obtient en 1954. Jacques Derrida, Louis Marin, Emmanuel Le Roy Ladurie font partie de sa promotion à l'ENS. Dans un univers philosophique dominé par l'existentialisme, il se tourne, par réaction intellectuelle, vers l'étude de la logique et de l'histoire des sciences, enseignée alors par Gaston Bachelard et Georges Canguilhem<ref>Ibid., p. 21.</ref>. Il suit, également, le séminaire de Éric Weil sur la Philosophie du droit de Hegel et fait un mémoire sous la direction de Guéroult, sur le Animadversiones de Leibniz (Leibnitii animadversiones in partem generalem principiorum Cartesianorum), en 1953.

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École normale supérieure, Cours aux Ernests
Début de carrière

Après une brève expérience en tant que professeur au lycée de Moulins (1954-1955), il est appelé par l'armée en 1955, à Versailles au service psychologique des armées. Cependant, pour raisons disciplinaires, il est rapidement envoyé en Algérie dans le cadre de la "pacification", où il accomplira l'essentiel de son service militaire, alors de deux ans <ref>Ibid., p. 54.</ref>. De 1958 à 1960, souhaitant poursuivre ses études sur l'Algérie, il prend un poste d'assistant à la Faculté des Lettres d'Alger <ref>Ibid., p. 63.</ref>. Il retourne en France en 1960, fuyant le putsch des généraux à Alger. Il est alors assistant à l'université de Paris, puis maître de conférence à l'Université de Lille jusqu'en 1964. Il parfait à l'école des langues orientales, à Paris, son étude et sa pratique de l'arabe et du berbère, qu'il avait commencé à apprendre en Algérie. À Lille, il enseigne la sociologie, étudiant Durkheim, Weber, Schütz et Saussure, ainsi que la sociologie américaine et l'anthropologie britannique. En 1962, il se marie avec Marie-Claire Brizard, avec laquelle il aura trois enfants : Jérôme, Emmanuel et Laurent.

Algérie : le passage à la sociologie
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Un village kabyle traditionnel

Ce moment algérien sera décisif : c'est là, en effet, que se décide sa carrière de sociologue <ref>Ibid., p. 57 et suivantes.</ref>. Délaissant la philosophie, il va, ainsi, mener toute une série de travaux d'ethnologie en Algérie, qui déboucheront sur l'écriture de plusieurs livres. Ses premières enquêtes le mènent dans les régions de Kabylie et de Collo, bastions nationalistes où la guerre fait rage <ref>Ibid., p 65 et suivantes.</ref>. Après une Sociologie de l'Algérie publiée en 1958, qui est une synthèse des savoirs existants sur le pays, il publie, en 1963, Travail et travailleurs en Algérie, étude de la découverte du travail salarié et de la formation du prolétariat urbain en Algérie, en collaboration avec Alain Darbel, Jean-Paul Rivet et Claude Seibel. 1964 voit la publication de Le Déracinement. La crise de l'agriculture traditionnelle en Algérie, en collaboration avec Abdelmalek Sayad, sur la destruction de l'agriculture et de la société traditionnelle et la politique de regroupement des populations par l'armée française. Après son retour en France, Bourdieu profite, jusqu'en 1964, des vacances scolaires pour collecter de nouvelles données sur l'Algérie urbaine et rurale de l'époque.

Le terrain ethnologique de la Kabylie ne cessa, même après qu'il eut cessé de s'y rendre, de nourrir l'œuvre anthropologique de Pierre Bourdieu. Ses principaux travaux sur la théorie de l'action Esquisse d'une théorie de la pratique (1972) et Le sens pratique (1980) naissent ainsi d'une réflexion anthropologique sur la société kabyle traditionnelle. De même, son travail sur les rapports de genre, La domination masculine (199Image:Cool.gif, se fonde, pour une part, sur une analyse des mécanismes de reproduction de la domination masculine dans la société traditionnelle kabyle.

L'École des hautes études en sciences sociales

En 1964, Bourdieu rejoint l'École des hautes études en sciences sociales (EHESS). La même année, sa collaboration commencée plus tôt avec Jean-Claude Passeron, conduit à la publication de l'ouvrage Les Héritiers, qui rencontre un vif succès et contribue à faire de lui un sociologue « en vue » <ref>Philippe Masson, « La fabrication des Héritiers », Revue française de sociologie, n°3, 2001.</ref>.

À partir de 1965, avec Un Art Moyen. Essais sur les usages sociaux de la photographie, suivi en 1966 par L'amour de l'Art, Pierre Bourdieu engage une série de travaux portant sur les pratiques culturelles, qui occuperont une part essentielle de son travail sociologique dans la décennie suivante, et qui déboucheront sur la publication, en 1979, de La Distinction. Critique sociale du jugement, qui est sans doute son œuvre la plus importante.

En 1968, il fonde le centre de sociologie européenne, à l'EHESS, avec le soutien de Raymond Aron, qui avait reçu une subvention de la fondation Ford à cette intention.

La même année, il publie avec Jean-Claude Chamboredon et Jean-Claude Passeron Le Métier de sociologue, un traité dans lequel ils exposent, à partir d'un choix de textes d'auteurs, les méthodes de la sociologie. L'ouvrage devait comporter trois volumes. Le second, qui porte sur le symbolisme dans la société, avait déjà son plan détaillé et ses matériaux.

Le Collège de France
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Fronton du Collège de France

Il devient professeur titulaire de la chaire de sociologie au Collège de France en 1981 -position la plus prestigieuse au sein du système universitaire français. Il est le premier sociologue à recevoir la médaille d'or du CNRS en 1993.

On peut ainsi souligner le paradoxe d'un homme qui n'a cessé de se vivre comme à la marge des institutions académiques dominantes, dont il a même entrepris l'étude critique (par exemple dans Homo academicus), alors même qu'il a réalisé une des « carrières » universitaires les plus exemplaires qui soient.

Engagement

À partir de 1990, Pierre Bourdieu s'implique plus fortement dans la vie politique <ref>Pour une analyse de cet engagement politique, cf. Michel Offerlé, « Engagement sociologique : Pierre Bourdieu en politique », Regards sur l'actualité, n°248, 1999</ref>, investissant la figure de l'intellectuel engagé. <ref>Toutefois, Pierre Bourdieu relative ce changement, qui lui semble résulter de l'impression fausse induite par la transformation du champ intellectuel, conduisant les intellectuels vers des positions conservatrices, alors que ses propres positions demeuraient inchangées. Ainsi, dans la revue Vacarme [1], à la question « Les années 1994/1995 — les suites de la publication de La Misère du monde, le mouvement social de décembre 1995 — constituent visiblement pour vous un tournant politique. Ou plutôt, elles constituent un tournant dans la façon dont vous êtes perçu. La chronologie est-elle aussi simple ? À supposer qu’elle fonctionne, pourquoi ce moment précis ? Et s’il y a césure politique, correspond-elle à une césure épistémologique ? », Pierre Bourdieu répondait « Ça me surprend toujours quand on parle de « tournant ». (...) Bien sûr, on peut se dire : comment se fait-il qu’il « passe à la politique » ? En fait, c’était déjà là. Vous le dites vous-même : il a un tournant dans la façon dont je suis perçu. Je pense que c’est essentiellement ça. Un changement, cela peut tenir à la chose vue ou à la perception. Du côté de la perception, je vois bien un certain nombre de choses : le monde intellectuel a beaucoup changé et c’est peut-être parce que je n’ai pas beaucoup changé sur l’essentiel que je parais avoir changé. » </ref>. Durant la guerre civile en Algérie, il soutient les intellectuels algériens. Lors du mouvement de novembre/décembre 1995, il défend les grévistes. En 1996, il sera l'un des initiateurs des "États généraux du mouvement social". Il soutient également le mouvement de chômeurs de l'hiver 1997/98, qui lui apparaît comme un "miracle social". L'axe central de son engagement consiste en une critique de la diffusion du néolibéralisme et des politiques de démantèlement des institutions de l'État-providence.

« On a là un exemple typique de cet effet de croyance partagée qui met d'emblée hors discussion des thèses tout à fait discutables. Il faudrait analyser le travail collectif des “nouveaux intellectuels” qui a créé un climat favorable au retrait de l'État et, plus largement, à la soumission aux valeurs de l'économie. Je pense à ce que l'on a appelé “le retour de l'individualisme”, sorte de prophétie auto-réalisante qui tend à détruire les fondements philosophiques du welfare state et en particulier la notion de responsabilité collective (dans l'accident de travail, la maladie ou la misère), cette conquête fondamentale de la pensée sociale (et sociologique). Le retour à l'individu, c'est aussi ce qui permet de “blâmer la victime”, seule responsable de son malheur, et de lui prêcher la self help, tout cela sous le couvert de la nécessité inlassablement répétée de diminuer les charges de l'entreprise. »<ref>Contre-feux, Liber-Raison d'Agir, 1998, pp. 14-15.</ref>

Sans qu'il soit favorable à une solution alternative au capitalisme, sa critique sociale fait de lui une des figures du mouvement altermondialiste, alors naissant. La plupart de ses interventions seront regroupées dans deux ouvrages intitulés Contre-feux.

De cette période date également La misère du monde (1993), ouvrage d'entretiens, qui cherche à montrer les effets destructurateurs des politiques néolibérales, et qui remportera un très important succès public.

L'éditeur

En 1964, il devient directeur de la collection Le sens commun aux Éditions de Minuit, dans laquelle est publié la plupart de ses livres, jusqu'en 1992 où il change d'éditeur, au profit des Editions du Seuil. Dans cette collection, Pierre Bourdieu publie des classiques des sciences sociales (Émile Durkheim, Marcel Mauss, etc.) ou de la philosophie (Ernst Cassirer, Erwin Panofsky, etc.), et fait découvrir aux lecteurs français des sociologues américains de premier plan (traductions d'Erving Goffman).

En 1975, il fonde, notamment avec le soutien de Fernand Braudel, puis dirige jusqu'à sa mort, la revue Actes de la Recherche en Sciences Sociales, qui sera un lieu d'exposition de ses travaux et de ceux de ses élèves. Elle se démarque des revues universitaires traditionnelles par le recours à de nombreuses illustrations (photographie, bande dessinées, etc.), son grand format et sa mise en page.

En 1995, à la suite des mouvements sociaux et pétitions de novembre-décembre en France, il fonde une maison d'édition, Raisons d'agir, à la fois militante et universitaire, publiant des travaux, souvent de jeunes chercheurs qui lui sont liés, procédant à une critique du néolibéralisme.

Influence et oppositions

L'implication de Bourdieu dans l'espace public lui a assuré une renommée dépassant le monde universitaire, faisant de lui un des grands intellectuels français de la seconde moitié du siècle, à l'instar de Michel Foucault ou Jacques Derrida. Toutefois, à l'image de ces deux philosophes, sa pensée, bien qu'elle ait exercé une influence considérable sur le champ des sciences sociales dans l'espace francophone (et, d'une façon moindre, anglophone) n'a pas cessé de faire l'objet de vives critiques, l'accusant par exemple de réductionnisme <ref>Cf. par exemple, Jeffrey C.Alexander, La Réduction. Critique de Bourdieu, Cerf, 2000.</ref>.

Il sera, dans les médias, un personnage controversé, même s'il restera, selon l'expression d'un magazine, le plus « médiatique des anti-médiatiques » <ref>Le Nouvel Observateur, n° 1765, 3 septembre 1998.</ref>. On peut y voir l'effet de sa critique du monde médiatique. Sa participation à l'émission Arrêts sur images du 23 janvier 1996[2] constitue un épisode à la fois marquant et révélateur du rapport que P. Bourdieu a pu entretenir avec les médias. L'émission, qui faisait suite à la grève de novembre/décembre 1995, devait rendre compte du traitement médiatique de celle-ci. P. Bourdieu en était l'invité principal. Plutôt que de développer librement ses analyses, P. Bourdieu fit l'objet de violentes critiques de la part des autres invités, professionnels des médias, Guillaume Durand et Jean-Marie Cavada. Il y vit la confirmation de l'impossibilité de « critiquer la télévision à la télévision parce que les dispositifs de la télévision s’imposent même aux émissions de critique du petit écran »<ref>Pierre Bourdieu, « Analyse d’un passage à l’antenne », Le monde diplomatique, avril 1996 [3].</ref>. Peu de temps après, il écrivit un petit ouvrage, qui eut un immense succès, Sur la télévision, où il chercha à montrer que les dispositifs des émissions télévisuelles sont structurés d'une manière telle qu'ils engendrent une puissante censure de toutes les paroles critiques de l'ordre dominant.

Il décède le 23 janvier 2002 d'un cancer, après avoir travaillé durant ses derniers mois à la théorie des champs, à un ouvrage inachevé sur Manet et la révolution symbolique, ainsi qu'à son autobiographie, Esquisse pour une auto-analyse. Sa tombe est au cimetière du Père-Lachaise, à Paris, près de celles de Claude Henri de Rouvroy de Saint-Simon et de Jean Anthelme Brillat-Savarin.

Théorie sociologique

Présentation

Une œuvre aux filiations complexes

Bourdieu est l'héritier de la sociologie classique, dont il a synthétisé, dans une approche profondément personnelle, la plupart des apports principaux.

Ainsi de Max Weber, il a retenu l'importance de la dimension symbolique de la légitimité de toute domination dans la vie sociale ; de même que l'idée des ordres sociaux qui deviendront, dans la théorie bourdieusienne, des champs. De Karl Marx, il a repris le concept de capital, généralisé à toutes les activités sociales (et non plus seulement économiques). D'Émile Durkheim, enfin, il hérite un certain style déterministe et, en un sens, à travers Marcel Mauss et Claude Lévi-Strauss, structuraliste.

Il ne faut pas, toutefois, négliger les influences philosophiques chez ce philosophe de formation : Maurice Merleau-Ponty et, à travers celui-ci, la phénoménologie de Husserl ont joué un rôle essentiel dans la réflexion de Bourdieu sur le corps propre, les dispositions à l'action, le sens pratique: c'est-à-dire dans la définition du concept central d’habitus. Par ailleurs, Wittgenstein, cité dès Esquisse d'une théorie de la pratique en 1971, est une source d'inspiration importante pour Bourdieu, en particulier dans sa réflexion sur la nature des règles suivies par les agents sociaux <ref>Sur cette question, on peut lire les textes réunis dans le n°579/580 de la revue Critique, en particulier ceux de Ch. Chauviré et de R. Shusterman.</ref>. Enfin, Bourdieu placera, à la fin de sa vie, sa sociologie sous le signe de Pascal <ref>Les Méditations pascaliennes, Seuil, 1997 livre ainsi la « philosophie négative » sur laquelle débouche, selon Bourdieu, sa sociologie. Le titre est un écho aux Méditations cartésiennes de Husserl, autre source d'inspiration de Bourdieu.</ref> : « J'avais pris l'habitude, depuis longtemps, lorsqu'on me posait la question, généralement mal intentionnée, de mes rapports avec Marx, de répondre qu'à tout prendre, et s'il fallait à tout prix s'affilier, je me dirais plutôt pascalien [...] <ref>Ibid., p.9.</ref>. »

« Structuralisme constructiviste » ou « constructivisme structuraliste »

L'œuvre de Pierre Bourdieu est construite sur la volonté affichée de dépasser une série d'oppositions qui structurent les sciences sociales (subjectivisme/objectivisme, micro/macro, liberté/déterminisme), notamment par des innovations conceptuelles. Les concepts d'habitus, de capital ou de champ ont été conçus, en effet, avec l'intention d'abolir de telles oppositions.

Ainsi, dans Choses dites, Bourdieu propose de donner à sa théorie sociologique le nom de « structuralisme constructiviste » ou de « constructivisme structuraliste »<ref>Choses dites, Minuit, 1987,p. 147.</ref>. Dans ces termes s'affichent cette volonté de dépassement des oppositions conceptuelles fondatrices de la sociologie : en particulier ici celle opposant le structuralisme (qui affirme la soumission de l'individu à des règles structurelles) et le constructivisme (qui fait du monde social le produit de l'action libre des acteurs sociaux). Bourdieu veut ainsi souligner que, pour lui, le monde social est constitué de structures qui sont certes construites par les agents sociaux (position constructiviste) mais qui, une fois constituées, conditionnent à leur tour l'action de ces agents (position structuraliste). On rejoint ici, par d'autres termes, ce que la sociologie anglo-saxonne appelle l'opposition structure/agency (agent déterminé entièrement par des structures le dépassant/acteur créateur libre et rationnel des activités sociales) dont la volonté de dépassement caractérise particulièrement le travail conceptuel de Bourdieu.

Plan de l'étude

D'une richesse considérable, ayant abordé un nombre très important d'objets empiriques, l'œuvre de Bourdieu est, toutefois, ordonnée autour de quelques concepts directeurs :

  • centralité de l'habitus comme principe de l'action des agents dans le monde social (L'habitus) ;
  • un monde social divisé en champs, qui constituent des lieux de compétition structurés autour d'enjeux spécifiques (la théorie des champs) ;
  • un monde social où la violence symbolique, c'est-à-dire la capacité à perpétuer des rapports de domination en les faisant méconnaître comme tels par ceux qui les subissent, joue un rôle central (La violence symbolique).
  • L'œuvre de Bourdieu débouche, enfin, sur une théorie de la société et des groupes sociaux qui la composent. Celle-ci entend montrer : 1-comment se constituent les hiérarchies entre les groupes sociaux ; 2-comment les pratiques culturelles occupent une place importantes dans la lutte entre ces groupes 3- comment le système scolaire joue un rôle décisif pour reproduire et légitimer ces hiérarchies sociales (Une théorie de l'espace social).

L'habitus

Introduction

Par le concept d'habitus, Bourdieu vise à penser le lien entre socialisation et actions des individus. L'habitus est constitué en effet par l'ensemble des dispositions, schèmes d'action ou de perception que l'individu acquiert à travers son expérience sociale. Par sa socialisation, puis par sa trajectoire sociale, tout individu incorpore lentement un ensemble de manières de penser, sentir et agir, qui se révèlent durables. Bourdieu pense que ces dispositions sont à l'origine des pratiques futures des individus.

Toutefois, l'habitus est plus qu'un simple conditionnement qui conduirait à reproduire mécaniquement ce que l'on a acquis. L'habitus n'est pas une habitude, que l'on accomplit machinalement. En effet, ces dispositions ressemblent d'avantage à la grammaire de sa langue maternelle. Grâce à cette grammaire acquise par socialisation, l'individu peut, de fait, fabriquer une infinité de phrases pour faire face à toutes les situations. Il ne répète pas inlassablement la même phrase, comme le ferait un perroquet. Les dispositions de l'habitus sont du même type : elle sont des schèmes de perception et d'action qui permettent à l'individu de produire un ensemble de pratiques nouvelles adaptées au monde social où il se trouve. L'habitus est « puissamment générateur »<ref>Questions de sociologie, Minuit, p. 134</ref> : il est même à l'origine d'un sens pratique. Bourdieu définit ainsi l'habitus comme des « structures structurées prédisposées à fonctionner comme structures structurantes »<ref>Le sens pratique, Minuit, 1980, p. 88.</ref>. L'habitus est structure structurée puisqu'il est produit par socialisation ; mais il est également structure structurante car générateur d'une infinité de pratiques nouvelles.

Dans la mesure où ces dispositions font système, l'habitus est à l'origine de l'unité des pensées et actions de chaque individu. Mais, dans la mesure où les individus issus des même groupes sociaux ont vécu des socialisations semblables, il explique aussi la similitude des manières de penser, sentir et agir propres aux individus d'une même classe sociale.

Cela ne signifie pas toutefois que les dispositions de l'habitus soient immuables : la trajectoire sociale des individus peut conduire à ce que leur habitus se transforme en partie. D'autre part, l'individu peut partiellement se l'approprier et le transformer par un retour sociologique sur soi<ref>Réponses, Seuil, 1992, p. 239.</ref>.

Propriétés générales de l'habitus

Hystérésis de l’habitus

Les dispositions constitutives de l'habitus ont pour première propriété d'être durables, c'est-à-dire de survivre au moment de leur incorporation.

Pour penser cette durabilité des dispositions, Bourdieu introduit le concept d'hystérésis de l’habitus. Ce concept cherche à désigner le phénomène par lequel un agent, qui a été socialisé dans un certain monde social, en conserve, dans une large mesure, les dispositions, même si elles sont devenues inadaptées suite par exemple à une évolution historique (révolutions, crises, etc.) ayant fait disparaître ce monde.

Un exemple, souvent repris, bien que se référant à un personnage de roman, permet d'illustrer ce phénomène : celui de Don Quichotte. Chevalier dans un monde où il n'y a plus de chevalerie, et inapte à faire face à l'effondrement de son univers, il en vient à chasser les moulins à vent qu'il prend pour d'immenses tyrans.

Bourdieu donne un autre exemple dans Le Bal des célibataires : les stratégies matrimoniales perdurent comme habitus à une époque où elles ont perdu leur sens, provoquant une crise matrimoniale dans la société paysanne béarnaise.

Transposabilité de l'habitus

Les dispositions constitutives de l'habitus sont, d'autre part, transposables. Bourdieu veut dire par là que des dispositions acquises dans une certaine activité sociale (par exemple au sein de la famille) sont transposées dans une autre activité (par exemple le monde professionnel).

Le caractère transposable des dispositions est lié à une autre hypothèse : les dispositions des agents sont unifiées entre elles. Cette hypothèse est au centre de l'ouvrage intitulé La Distinction (1979) où Bourdieu entend montrer que l'ensemble des comportements des agents sont reliés entre eux par un « style » commun.

Dans La Distinction — qui porte essentiellement sur la structure sociale — Bourdieu met en évidence l'existence de « styles de vie » fondés sur des positions de classes différentes. Il fait ainsi apparaître le lien qui unit, chez les ouvriers, le rapport à la nourriture (qui doit être nourrissante, donc utile, efficace, et souvent lourde et grasse, c'est-à-dire sans considération hygiénique), la vision de l'art (qui ne doit pas être abstrait mais réaliste, c'est-à-dire utile, et un peu « pompier », c'est-à-dire lourd, sans finesse), le type de vêtements portés (fonctionnels et grossiers), etc. Ce style de vie est donc unifié par un petit nombre de principes (fonctionnalité, absence de recherche de l'élégance, c'est-à-dire, à suivre Bourdieu, privilège accordé à la substance plutôt qu'à la forme dans l'ensemble des pratiques sociales etc.) qui correspondent aux dispositions de l'habitus des ouvriers, et, in fine, sont le produit de leur position dans le monde social (vécu sous le mode de la nécessité, en l'absence de ressources économiques, etc.).

Caractère générateur de l’habitus

Bourdieu, dans de très nombreux textes, entend souligner le caractère « générateur » de l'habitus. L'habitus, cette « structure structurée prédisposée à fonctionner comme structure structurante », a, en effet, comme propriété d'être à l'origine d'une infinité de pratiques possibles.

À partir d'un nombre restreint de dispositions, l'agent est, ainsi, capable d'inventer une multiplicité de stratégies — un peu à la façon de la grammaire d'une langue (par exemple celle du français), ensemble limité de règles, qui permet à ses locuteurs de créer néanmoins une infinité de phrases, à chaque fois adaptées à la situation.

Le sens pratique

Ce caractère « générateur » de l'habitus est, enfin, lié à une dernière propriété de l'habitus : celle d'être au principe de ce que Bourdieu nomme le « sens pratique ».

Bourdieu veut dire par là que l'habitus étant le reflet d'un monde social, il lui est adapté et permet aux agents, sans que ceux-ci n'aient besoin d'entreprendre une réflexion « tactique » consciente, de répondre immédiatement et sans même y réfléchir, aux évènements auxquels ils font face.

Ainsi, à la façon d'un joueur de tennis, qui ayant profondément acquis la logique de son jeu, court vers où la balle, lancée par son adversaire, va retomber, sans même y penser (on dit alors qu'il a acquis les automatismes de son jeu), l'agent va agir de même dans le monde social où il vit en développant, grâce à son habitus, de véritables « stratégies inconscientes » adaptées aux exigences de ce monde.

Avec sa théorie du sens pratique, Bourdieu semble retrouver en apparence la théorie de l'acteur rationnel, dominante en économie, en ce qu'il insiste sur le fait que l'habitus est au principe de stratégies par lesquels les agents accomplissent la recherche d'un intérêt. La différence est pourtant profonde : Bourdieu veut, dans une critique profonde de la théorie de l'acteur rationnel, montrer que les agents ne calculent pas en permanence, en cherchant intentionnellement à maximiser leur intérêt selon des critères rationnels explicites. Pour lui, les agents agissent, bien au contraire, à partir de leurs dispositions et des savoirs faire inscrits dans leur corps, qui rendent possible ce "sens du jeu", et non par une réflexion consciente. Comme Bourdieu l'écrit, « L'habitus enferme la solution des paradoxes du sens objectif sans intention subjective : il est au principe de ces enchaînements de coups qui sont objectivement organisés comme des stratégies sans être le produit d'une véritable intention stratégique. »<ref>Le sens pratique, op.cit, pp.103-104.</ref>

Ce « sens pratique » n'est toutefois possible que pour autant que l'agent soit confronté à un champ social qui lui soit familier, qui corresponde à celui où il a été socialisé et où il a donc incorporé les structures constitutives de son habitus.

Aux origines du concept d'habitus

Élaboré à la fin des années soixante, thématisé une première fois dans la préface à une publication d'œuvres d'ethnologie kabyle, Esquisse d'une théorie de la pratique (1972), complétée dans Le sens pratique (1980), le concept d'habitus visait, primitivement, à dépasser les deux conceptions du sujet et de l'action alors dominantes dans l'espace intellectuel français.

S'opposaient ainsi les théories inspirées de la phénoménologie, et en particulier l'existentialisme de Jean-Paul Sartre, qui plaçaient au cœur de l'action la liberté absolue du sujet, aux théories issues du structuralisme, en particulier l'anthropologie de Claude Lévi-Strauss, qui faisait de l'action du sujet un comportement entièrement régi par des règles objectives.

Face au structuralisme, Bourdieu a voulu redonner une capacité d'action autonome au sujet, sans toutefois lui accorder la liberté que lui prêtait l'existentialisme. La « solution » que propose Bourdieu est de considérer que l'agent a, lors des différents processus de socialisation qu'il a connus (en particulier la socialisation primaire), incorporé un ensemble de principes d'action, reflets des structures objectives du monde social dans lequel il se trouve, qui sont devenus en lui, au terme de cette incorporation, des « dispositions durables et transposables » (selon l'une des définitions de l'habitus que propose Bourdieu).

Ainsi, l'agent, en un certain sens agit de lui même (à la différence du sujet structuraliste qui actualisait des règles) puisque son action est le produit des « stratégies inconscientes » qu'il développe, mais ces stratégies sont constituées à partir de dispositions que l'agent a incorporées. Au fondement de l'action, on trouve donc l'ensemble de ces dispositions qui constituent l'habitus. C'est pour cela que Bourdieu préfère au terme d'acteur, généralement employé par ceux qui veulent souligner la capacité qu'a l'individu d'agir librement, celui d'agent, qui insiste, au contraire, sur les déterminismes auxquels est soumis l'individu.

L'action des individus est donc, au terme de la théorisation de Bourdieu, fondamentalement le produit des structures objectives du monde dans lequel ils vivent, et qui façonnent en eux un ensemble de dispositions qui vont structurer leurs façons de penser, de percevoir et d'agir.

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La théorie des champs

Pierre Bourdieu définit la société comme une imbrication de champs (économique, culturel, artistique, sportif, religieux...) à l'intérieur desquels se dégagent une logique propre déterminée par la spécificité des enjeux et des atouts que l'on peut y faire valoir, compte tenu des règles y prévalant. Les interactions se structurent en fonction des atouts et des ressources que chacun des agents mobilise, c’est-à-dire, pour reprendre les catégories construites par Bourdieu, de son capital, qu'il soit économique, culturel, social ou symbolique.

La violence symbolique

La notion de violence symbolique renvoie à l'intériorisation par les agents de la domination sociale inhérente à la position qu'ils occupent dans un champ donné et plus généralement à leur position sociale. Cette violence est infra-consciente et ne s'appuie pas sur une domination intersubjective (d'un individu sur un autre) mais sur une domination structurale (d'une position en fonction d'une autre). Cette structure, qui est fonction des capitaux possédés par les agents, fait violence car elle est non perçue par les agents. Elle est donc source d'un sentiment d'infériorité ou d'insignifiance qui est uniquement subi puisque non objectivé. Cette violence symbolique peut être rapprochée d'une conceptualisation sociologique de ce que la tradition critique allemande nommait l'aliénation, même si on ne peut poser qu'une équivalence entre ces deux notions et non une identité (les fondements théoriques étant très différents). La violence symbolique trouve son fondement dans la légitimité des schèmes de classement inhérent à la hiérarchisation des groupes sociaux.

Voir aussi : La Reproduction

Une théorie de l'espace social

Pierre Bourdieu a construit, notamment dans La distinction<ref>La distinction. Critique sociale du jugement, Minuit, 1979.</ref>, une théorie complexe de l'espace social, au croisement des traditions marxiste et weberienne. Cette théorie se propose d'expliquer principalement 1) la logique de constitution des groupes sociaux à partir des modes de hiérarchisation des sociétés, 2) les styles de vie et les luttes que se livrent ces groupes sociaux, 3) les modalités de reproduction des hiérarchies sociales et des groupes sociaux.

Hiérarchisation et constitution des groupes sociaux

Bourdieu, essentiellement dans La distinction, propose une théorie originale de la hiérarchisation de l'espace social, à partir d'une relecture de Max Weber. Cette théorie s'oppose à la tradition marxiste, pour laquelle les sociétés se structurent à partir des processus de production économique. Ainsi, dans ce que les marxistes appellent le mode de production capitaliste, la production est structurée autour du rapport de production opposant producteurs directs (les ouvriers) et possesseurs des moyens de production (les capitalistes). Le capitalisme crée ainsi deux classes sociales, les ouvriers et la bourgeoisie capitaliste. Ces deux classes sont en lutte, la bourgeoisie exploitant, selon les marxistes, les ouvriers. La production économique structure ainsi la société en créant des classes sociales antagonistes.

Bourdieu refuse cette théorie de l'espace social. Il pense, en effet, à la suite de Max Weber que les sociétés ne se structurent pas seulement à partir de logiques économiques. Bourdieu propose ainsi d'ajouter au capital économique, ce qu'il nomme, par analogie, le capital culturel. Il lui semble, en effet, que dans les sociétés modernes, la quantité de ressources culturelles que possèdent les agents sociaux joue un rôle essentiel dans leur position sociale. Par exemple, la position sociale d'un individu est, pour Bourdieu, tout autant déterminée par le diplôme dont il dispose que par la richesse économique dont il a pu hériter.

Bourdieu construit ainsi une théorie à deux dimensions de l'espace social, qui s'oppose à la théorie unidimensionnelle des marxistes. La première dimension est constituée par le capital économique possédé, la deuxième par le capital culturel. Un individu se situe quelque part dans l'espace social en fonction à la fois du volume total des deux capitaux qu'il possède, mais également de l'importance relative de chacun des deux types de capital dans ce volume total. Par exemple, parmi les individus dotés d'une grande quantité de capitaux, et qui forment la classe dominante d'une société, Bourdieu oppose ceux qui ont beaucoup de capital économique et moins de capital culturel (la bourgeoisie industrielle pour l'essentiel), situés en haut à droite du schéma ci-dessous, aux individus qui ont beaucoup de capital culturel mais moins de capital économique, situés en haut à gauche du schéma (les professeurs d'université, par exemple).

Image:Espace social de Bourdieu.svg
Espace des positions sociales et espace des styles de vie<ref>Schéma simplifié extrait de Raisons pratiques, Seuil, coll. Points, 1996, p. 21.</ref>

Bourdieu insiste sur le fait que sa vision de l'espace social est relationnelle : la position de chacun n'existe pas en soi, mais en comparaison des quantités de capital que possèdent les autres agents. D'autre part, si Bourdieu pense que capital culturel et capital économique sont les deux types de ressources qui structurent le plus en profondeur les sociétés contemporaines, il laisse la place à tout autre type de ressources, qui peuvent, en fonction de chaque société particulière, occuper une place déterminante dans la constitution des hiérarchies sociales.

Bourdieu, à partir de cette théorie de la hiérarchisation de la société, cherche à comprendre comment se construisent les groupes sociaux. À la différence des marxistes, Bourdieu ne croit pas que les classes sociales existent, en soi, objectivement (position « réaliste »). Au contraire, si le sociologue peut, à partir des différences de comportements sociaux par exemple, construire des classes sociales « sur le papier », il ne va pas de soi que les individus se considèrent comme en faisant partie. De nombreuses études ont ainsi pu montrer que le nombre d'individus se considérant comme faisant partie de la « classe moyenne » est bien supérieur à celui que l'on aurait à partir d'une définition « objective » de cette appartenance. Toutefois, Bourdieu ne pense pas non plus que les classes sociales n'ont aucune réalité, qu'elles ne sont qu'un regroupement arbitraire d'individus (position « nominaliste »). Bourdieu pense qu'une partie essentielle du travail politique consiste à mobiliser les agents sociaux, à les regrouper symboliquement, afin de créer ce sentiment d'appartenance, et de constituer ainsi des classes sociales « mobilisées ». Mais cela a d'autant plus de chance de réussir que les individus que l'on tente ainsi de réunir sont objectivement proches dans l'espace social<ref>Cf., en particulier, « Espace social et genèse des classes », Actes de la recherche en sciences sociales, n°52-53, 1984.</ref>.

Espace des styles de vie et luttes symboliques

Pour Bourdieu, les styles de vie des individus sont le reflet de leur position sociale. Ainsi, Bourdieu s'efforce de faire apparaître une forte corrélation entre les manières de vivre, sentir et agir des individus, leurs goûts et leurs dégoûts en particulier, et la place qu'ils occupent dans les hiérarchies sociales. Cette corrélation entre positions sociales et pratiques sociales est illustré par le diagramme au dessus, qui fait correspondre à un espace des positions sociales, un espace des pratiques sociales, culturelles et politiques.

L'habitus est une des médiations fondamentales de cette corrélation. Les individus, en vivant un certain type de vie sociale, acquièrent également des dispositions culturelles spécifiques. Ainsi, les ouvriers (cf. supra) condamnés à une vie où la nécessité économique domine, ont une vision fonctionnelle de la nourriture (qui doit être avant tout nourrissante) ou de l'art (qui ne peut être que réaliste). Ils conçoivent de même leur corps comme un instrument qu'il faut affermir et attendent ainsi de la pratique du sport plus de force physique.

Toutefois, Bourdieu pense que dans cet espace des styles de vie se joue un aspect essentiel de la légitimation de l'ordre social. En effet, dans la mesure où les pratiques sociales sont hiérarchisées et que ces hiérarchies reflètent les hiérarchies sociales sous-jacentes, les styles de vies ont de puissants effets de distinction et de légitimation. Par exemple, les groupes sociaux dominants en aimant des musiques plus valorisées socialement que les groupes sociaux dominés trouvent, dans le même temps, une source de distinction dans leurs goûts. Mais cette distinction est aussi légitimation : les groupes sociaux dominants sont distinguées car ils aiment des musiques distinguées.

Pierre Bourdieu pense ainsi qu'une partie de la lutte entre groupes sociaux prend la forme d'une lutte symbolique. Les individus des groupes sociaux dominés s'efforcent, en effet, d'imiter les pratiques culturelles des groupes sociaux dominants pour se valoriser socialement. Toutefois, les individus des groupes sociaux dominants, sensibles à cette imitation, ont alors tendance à changer de pratiques sociales : ils en cherchent de plus rares, aptes à restaurer leur distinction symbolique. C'est cette dialectique de la divulgation, de l'imitation et de la recherche de la distinction qui est, pour Bourdieu, à l'origine de la transformation des pratiques culturelles.

Cependant, dans ces luttes symboliques, les classes dominées ne peuvent être que perdantes : en imitant les classes dominantes, elles en reconnaissent la distinction culturelle ; sans pouvoir la reproduire jamais. « La prétention part toujours battue puisque, par définition, elle se laisse imposer le but de la course, acceptant, du même coup, le handicap qu'elle s'efforce de combler »<ref>Question de sociologie, Minuit, 1984, p. 201.</ref>.

On retrouve ici l'idée fondamentale de Bourdieu sur l'espace social : celui-ci est relationnel. Il n'y a pas de goûts qui soient en eux-même vulgaires : s'ils le sont, c'est parce qu'on les oppose à d'autres définis comme distingués. Le golf ne pourrait être distingué s'il n'existait pas d'autres sports, comme le football, auquel on puisse l'opposer. De fait, la distinction des pratiques sociales se modifient avec le temps, essentiellement en fonction de leur adoption par les classes sociales les plus basses.

Le diagramme au dessus ne représente donc qu'un moment du lien entre positions sociales et pratiques sociales et culturelles. Ce lien change avec les luttes sociales de distinction. Ainsi, le tennis est aujourd'hui bien moins distingué qu'au moment de la réalisation des enquêtes (qui datent des années 1960) dont est tiré ce graphique <ref>Raisons pratiques, op.cit., p. 19.</ref>. Et, de fait, sa pratique s'est largement vulgarisée au sein de la petite bourgeoisie.

Les styles de vie sont ainsi objectivement distingués : ils reflètent les conditionnements sociaux qui s'expriment à travers l'habitus. Mais ils sont aussi le produit de stratégies de distinction, par lesquels les individus visent à restaurer la valeur symbolique de leurs pratiques et goûts culturels à mesure de leur imitation par des groupes sociaux moins privilégiés.

La reproduction des hiérarchies sociales

La reproduction de l'ordre social passe, pour Bourdieu, à la fois par la reproduction des hiérarchies sociales et par une légitimation de cette reproduction. Bourdieu pense que le système d'enseignement joue un rôle important dans cette reproduction, au sein des sociétés contemporaines. Bourdieu élabore ainsi une théorie du système d'enseignement qui vise à montrer : 1) qu'il renouvelle l'ordre social, en conduisant les enfants des membres de la classe dominante à obtenir les meilleurs diplômes scolaires leur permettant, ainsi, d'occuper à leur tour des positions sociales dominantes 2) qu'il légitime ce classement scolaire des individus, en masquant son origine sociale et en faisant de lui, au contraire, le résultat des qualités innées des individus (« idéologie du don »).

Dans La reproduction<ref> Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron, La reproduction, Minuit, 1970.</ref>, Pierre Bourdieu, avec Jean-Claude Passeron, s'efforce de montrer que le système d'enseignement exerce un « pouvoir de violence symbolique », qui contribue à donner une légitimité au rapport de force à l'origine des hiérarchies sociales. Comment cela est-il possible ? Bourdieu croit, tout d'abord, constater que le système éducatif transmet des savoirs qui sont proches de ceux qui existent dans la classe dominante. Ainsi, les enfants de la classe dominante disposent d'un capital culturel qui leur permet de s'adapter plus facilement aux exigences scolaires et, par conséquent, de mieux réussir dans leurs études. Cela, pour Bourdieu, permet la légitimation de la reproduction sociale. La cause de la réussite scolaire des membres de la classe dominante demeure en effet masquée, tandis que leur accession, grâce à leurs diplômes, à des positions sociales dominantes est légitimée par ces diplômes. Comme il le note, « les verdicts du tribunal scolaire ne sont aussi décisifs que parce qu'ils imposent la condamnation et l'oubli des attendus sociaux de la condamnation<ref>Ibid., p. 249.</ref> ». Autrement dit, pour Bourdieu, en masquant le fait que les membres de la classe dominante réussissent à l'école en raison de la proximité entre leur culture et celle du système éducatif, l'école rend possible la légitimation de la reproduction sociale.

Ce processus de légitimation est, pour Bourdieu, entretenu par deux croyances fondamentales. D'une part, l'école est considérée comme neutre et ses savoirs comme pleinement indépendants. L'école n'est donc pas perçue comme inculquant un arbitraire culturel proche de celui de la bourgeoisie - ce qui rend ses classements légitimes. D'autre part, l'échec ou la réussite scolaire sont, le plus souvent, considérés comme des « dons » renvoyant à la nature des individus. L'échec scolaire, processus fondamentalement social, sera donc compris par celui qui le subit comme un échec personnel, renvoyant à ses insuffisances (comme son manque d'intelligence, par exemple). Cette « idéologie du don » joue, pour Bourdieu, un rôle déterminant dans l'acceptation par les individus de leur destin scolaire et du destin social qui en découle.

Ces thèses sont reprises et développées dans La noblesse d'État publié en 1989 en collaboration avec Monique de Saint Martin<ref>La Noblesse d'Etat. Grandes écoles et esprit de corps, Minuit, 1989</ref>. Bourdieu met en avant l'emprise de plus en plus grande de ce qu'il nomme le mode de reproduction à composante scolaire, qui fait du diplôme un véritable droit d'entrée dans les entreprises bureaucratiques modernes, même pour la bourgeoisie industrielle qui s'en est longtemps passé pour transmettre ses positions sociales<ref>op. cit., p.406.</ref>. Aujourd'hui, presque toutes les classes sociales sont condamnées à assurer l'obtention par leurs enfants de diplômes scolaires à même de reproduire leur position sociale, jusque et y compris les propriétaires d'entreprise, dont les enfants doivent avoir un diplôme pour diriger à leur tour l'entreprise. Cela a transformé profondément le système scolaire, en particulier le champ des grandes écoles du pouvoir. Ainsi, Bourdieu s'efforce de montrer que les grandes écoles traditionnelles, où les compétences scolaires traditionnelles dominent, sont aujourd'hui concurrencées par de nouvelles écoles, proche du pôle dominant du champ du pouvoir. L'École normale supérieure a ainsi perdu sa place dominante au profit de l'ENA. Dans le même temps, des "écoles refuges" (souvent des écoles de gestion comme l'European Business School, pour reprendre l'exemple de Bourdieu), aux exigences scolaires faibles, sont apparues, dont la fonction est de permettre à des enfants issus des classes dominantes d'acquérir des diplômes qu'ils ne peuvent obtenir dans les grandes écoles.

Sociologies spécialisées

Pierre Bourdieu a, à partir de son appareil conceptuel, abordé l'étude de nombreux sous-champs de la sociologie, comme la sociologie du sport, la sociologie politique, la sociologie religieuse, etc.

La sociologie des médias

A la fin de sa vie, Pierre Bourdieu a développé, dans quelques articles et un bref ouvrage (Sur la télévision), une sociologie des médias. Cette sociologie, pouvant être lue comme une critique radicale des médias, a rencontré un grand succès public, bien qu'elle occupe une place mineure dans l'œuvre de Pierre Bourdieu, qu'elle soit restée succinte et fondée sur un travail empirique peu important.

L’incorporation d’un habitus et idéologie inconsciente

Cet habitus, inscrit dans le corps et la perception, est le fruit des expériences passées, du vécu social et de l’apprentissage. Bien qu’il soit clair que nous sommes tous différents, on peut néanmoins définir des habitus spécifiques au champ, où l’habitus individuel est une variante d’un même habitus soumis à des contraintes structurales semblables . Cette notion permet de ne tomber dans aucune des deux erreurs théoriques opposées, l’une qui fait part à une interprétation strictement structuraliste où le journaliste serait un pantin mécanique et l’autre, strictement individualiste qui voit le journaliste comme totalement libre et conscient de ses pratiques. Ces dispositions, fondamentalement concertantes, sont acquises dans des conditions objectives d’existence et de formation globalement identiques ou similaires. Comme le montre Alain Accardo dans « Journalistes précaires », les conditions de travail sont effectivement sensiblement identiques. Ainsi, les journalistes et journaux « sont soumis aux mêmes contraintes, aux mêmes sondages, aux mêmes annonceurs. (…) Comparez les couvertures des hebdomadaires français à quinze jours d’intervalle : ce sont à peu près les mêmes titres »<ref>BOURDIEU, Pierre, « Sur la télévision », Paris, Raisons d’agir, 1996, p. 23</ref> . Ainsi, le rédacteur en chef du Los Angeles Times déclare : « Moi-même, ça m’étonne. Prenez les premières pages du US Today, du New York Times, de Washington Post – souvent nous avons exactement les mêmes photos. Comment ça se fait ? Est-ce que nous nous consultons ? Non. Et pourtant, nous faisons les mêmes choix. C’est bizarre. »<ref>BENSON, Rodney, « La logique de profit dans les médias américains. », Actes de la recherche en sciences sociales, Année 2000, Volume 131, numéro 1, p. 111.</ref> Cela n’a en réalité rien de « bizarre » si l’on considère que les acteurs d’un même champ ont une « manière particulière, mais constante, d’entrer en relation avec le monde, qui enferme une connaissance permettant d’anticiper le cours du monde »<ref> BOURDIEU, Pierre, « Méditations pascaliennes », Paris, Seuil, 2003, p. 206. </ref> et de lui donner sens. Ce sont donc des structures qui classent, divisent et structurent le monde dont elles sont elles-mêmes le produit. On ne peut cependant pas penser les pratiques journalistiques comme une convergence totale sur tous les sujets. Nous pouvons néanmoins constater une certaine homogénéité et même dans certains cas, « coaliser » comme pour la guerre du Golfe ou la constitution européenne en agissant ainsi dans les intérêts directs du pouvoir. C’est dans cette optique qu’il faut se demander en quoi ces phénomènes de convergence ou cette « communauté d’inspirations » ne sont pas le fruit de dispositions structurées et structurantes tel un habitus. Ainsi quand Pierre Bourdieu demande à un journaliste pourquoi « il met ceci en premier et ceci en second ? » la réponse habituelle est « c’est évident ! » Cette réponse qui n’a évidemment de sens que pour celui qui la prononce, est le fruit de cet habitus, de ces dispositions qui font apparaître « comme plus naturel que la nature»<ref>BOURDIEU, Pierre, « Esquisse d’une théorie de la pratique », Paris, Seuil, 2000, p. 304</ref> ce qui est en réalité le fruit d’un acquis. Ainsi, chaque journaliste aura « tendance à croire que sa manière d’appréhender le réel est la manière « naturelle »<ref>CULKIN, John, S.J, « Chaque culture crée sa propre gamme sensorielle selon les exigences de son milieu ambiant », in STEARN, G.E, « Pour ou contre Mc Luhan », Paris, Seuil, 1969, p. 41. </ref> . Ces règles vont tellement de soi pour les acteurs, qu’ils n’en ont plus conscience.

L’imposition des catégories propres au champ

Étant donné que de moins en moins de gens lisent des quotidiens ou d’autres sources d’information, la télévision détient « une sorte de monopole de fait sur la formation des cerveaux d’une partie très importante de la population. »<ref>BOURDIEU, Pierre, « Sur la télévision », Paris, Raisons d’agir, 1996, p. 17. </ref> Ce monopole dans l’information est un problème réel, car la télévision tend ainsi à imposer ses systèmes de classement, de pensée, sa façon d’ordonner le réel et de classer à une frange importante de la population. Ce poids du champ télévisuel s’exerce dans plusieurs domaines et plusieurs champs. En imposant des « lunettes », des manières de percevoir, il va indirectement forcer les autres champs à s’exprimer ou à devoir adopter les catégories de pensée propres au champ médiatique. En matière de criminalité, des études tendent à démontrer que les évaluations et les opinions du public reflètent beaucoup plus les conceptions et les représentations que se font les médias que la réalité elle-même . Ce genre d’enquête montre l’impact important des médias sur l’opinion publique et non l’inverse comme bon nombre de journalistes se complaisent à croire. Pour ce qui est de la sémantique, elle joue un rôle fondamental comme le montre Eric Hazan<ref>LQR, Raisons d'Agir, 2006</ref>. Il indique par exemple, que la période post 11 septembre est marquée par la montée de nouvelles entités tel l’ « arabo-musulman », l’ « islamiste », le « terrorisme » … Ces dénominations, indépendamment de leur validité, imposent une interprétation ethnicisée des attentats et de la question de l’Islam radical. Cette vision, largement hégémonique dans le champ journalistique s’est constitué au détriment d’une vision sociale et économique. Elle a en plus un poids très important sur les débats pouvant avoir lieu dans d’autres champs et sur les thèmes de débats lancés par d’autres groupes. L’imposition de grilles interprétatives marginalise donc de fait les opinions divergentes et différentes de celles prônées par les médias. Le poids du champ journalistique et de ses exigences est par exemple très visible dans le champ philosophique, qu’il a largement déstabilisé. Ainsi, avec la montée des médias, les jeunes diplômes de philosophie ont trouvé un moyen « de faire reconnaître leur capital sur d’autres marchés » et ainsi de « contourner les instances de consécration académique et scientifique »<ref>PINTO, Louis, « Le journalisme philosophique », Actes de la recherche en sciences sociales », Volume 101, numéro 1, 1994, p. 30. </ref>. Ainsi, afin d’acquérir une position légitimante dans le champ médiatique, ces philosophes se sont vus contraints d'avoir une production philosophique qui se conforme aux exigences des grands débats journalistiques. Ces productions « intellectuelles » vont en ce sens fortement perturber le champ philosophique ou intellectuel, car pour espérer un minimum de reconnaissance ils devront jouer dans les règles du discours médiatique. Cela aura ainsi favorisé un nombre substantiel de petites compromissions, démissions ou trahisons au sein du champ intellectuel qui perd donc de son autonomie et pèse sur la contradiction.

Réception différentielle des catégories

Il faut néanmoins nuancer l’impact des catégories de perception imposées par les médias, car il faut bien comprendre que la notion d’habitus implique une réception différentielle des contenus. En ce sens, la réception d’une émission dépendra tout autant de l’émission que de la réception. « C'est dire que la réception (et sans aucun doute aussi l’émission) dépend pour une grande part de la structure objective des relations entre les positions objectives dans la structure sociale des agents en interaction… »<ref>BOURDIEU, Pierre, « Esquisse d’une théorie de la pratique », Paris, Seuil, 2000, p. 246. </ref>

Dans ce sens, une recherche comparative européenne (les jeunes et l’écran) réalisée en coordination avec les différents gouvernements européens, démontre une chose essentielle : « que les comportements des intéressées vis-à-vis de la télévision est fonction de l’appartenance à un milieu social favorisé ou à un milieu social défavorisé » il en ressort que la « fracture sociale pèse lourdement sur le statut et les attitudes face a la télévision. »<ref>Une publication d’étape des résultats comparatifs a fait l’objet d’un numéro spécial du European Journal of Communication : « Mediated Childhoods: A Comparative Approach to Young People's Changing Media Environment », Livingstone European Journal of Communication, 1998, 13, pp. 435-456.</ref> Cette enquête n’aborde certes pas de la réception des contenus en tant que tels, mais témoigne cependant que l’attitude et les dispositions vis-à-vis de la télévision sont largement tributaires des positions objectives des acteurs dans une structure sociale déterminée. Ce fait est déjà en soi particulièrement parlant et tend à nuancer la critique énoncée dans le point précédent.

Critiques

L'œuvre de Pierre Bourdieu a été l'objet d'une attention critique toute particulière, à la mesure de son influence dans les sciences sociales. Il est difficile de faire apparaître une seule ligne de force dans ce qui est reproché à un travail étalé sur près de 40 ans. Ces critiques (pour se limiter à celles des milieux académiques) sont venues de diverses écoles de pensées en sciences sociales - des marxistes aux partisans de la théorie de l'acteur rationnel - et ont porté sur des aspects très divers de ce travail.

Une critique domine, toutefois : celle-ci porte sur la nature des déterminations sociales dans la théorie de Pierre Bourdieu, qui sont décrites comme rigides et simplificatrices (critique du « déterminisme »). Au concept d'habitus, on a pu ainsi reprocher de poser à nouveau les problèmes qu'il entendait résoudre : entre le déterminisme absolu des structuralistes (où le sujet est soumis à des règles) et la liberté sans limite des existentialistes, le concept d’habitus, pensé par Bourdieu pour dépasser cette opposition, n'y parvient sans doute qu'incomplètement, penchant vers une certaine forme de déterminisme. L'action des agents est, en effet, en dernière analyse, le produit des déterminismes que fait peser sur eux le monde social et qui trouvent leur reflet dans les dispositions constitutives de leur habitus.

Anecdotes

  • En 1981, Bourdieu avec Gilles Deleuze et d'autres intellectuels soutinrent le principe de la candidature de Coluche à l'élection présidentielle, voulant par là rappeler que n'importe quel citoyen avait en démocratie le droit de participer à la compétition politique[réf. nécessaire].
  • Pierre Bourdieu avait l'habitude de garder dans son bureau une carte de vœux imitant celles de fin d'année mais sur laquelle il était inscrit "Joyeux bordel !" au lieu de "Joyeux noël !". Cette carte lui avait été offerte par ses étudiants.

Principales œuvres de Bourdieu

Les titres signalés par un * sont les plus accessibles.

  • Les Héritiers. Les étudiants et la culture, avec Jean-Claude Passeron, Minuit, 1964 (Extraits)
  • L'Amour de l'art. Les musées et leur public, Minuit, 1966, 1969, avec Alain Darbel, Dominique Schnapper
  • Un Art moyen. Essai sur les usages sociaux de la photographie, Minuit, 1965, avec Luc Boltanski, Robert Castel, Jean-Claude Chamboredon
  • Le Métier de sociologue, avec J.-C. Passeron et J.-C. Chamboredon, Bordas : Mouton, 1968
  • La Reproduction. Éléments pour une théorie du système d'enseignement, Minuit, 1970
  • Esquisse d'une théorie de la pratique, précédé de Trois études d'ethnologie kabyle, Droz, 1972
  • La Distinction. Critique sociale du jugement, Minuit, 1979
  • Le Sens pratique, Minuit, 1980
  • Questions de sociologie, Minuit, 1981 *
  • Ce que parler veut dire : économie des échanges linguistiques, Fayard, 1982
  • Homo academicus, Minuit, 1984
  • Choses dites, Minuit, 1987 *
  • La Noblesse d'État. Grandes écoles et esprit de corps, Minuit, 1989
  • Les Règles de l'art. Genèse et structure du champ littéraire, Seuil, 1992
  • Réponses. Pour une anthropologie réflexive, Seuil, 1992, avec Loïc Wacquant *
  • La misère du monde, Seuil, 1993 *
  • Raisons pratiques. Sur la théorie de l'action, Seuil, 1994 *
  • Sur la télévision, suivi de L'emprise du journalisme, Liber, 1996 *
  • Méditations pascaliennes, Seuil, 1997
  • La Domination masculine, Seuil, 1998
  • Science de la science et réflexivité, Raisons d'agir, 2001
  • Le Bal des célibataires. Crise de la société paysanne en Béarn, Seuil, 2002
  • Esquisse pour une auto-analyse, Raisons d'agir, 2004 *

Filmographie

  • Dans Enfin pris de Pierre Carles, le documentariste s'appuie sur un passage de Pierre Bourdieu dans l'émission de Daniel Schneidermann : Arrêt sur images, pour expliciter la théorie du sociologue sur le champ médiatique.
  • le champ journalistique est une intervention filmée de Pierre Bourdieu au Collège de France, c'est cette intervention qui sera à l'origine du livre Sur la télévision
  • Entretien Pierre Bourdieu et Günter Grass, Arte (chaine de télévision franco-allemande), diffusé le 5/12/1999
  • Bourdieu, Grand entretien du Cercle de minuit avec Laure Adler, France télévision (F2), avril 1998
  • Bourdieu, Réflexions faites, émission de la SEPT, 31/03/1991
  • Pierre Bourdieu, Chercheur de notre temps, vidéo du CNDP (France), 1991
  • Pierre Bourdieu, Grands entretiens, Antenne 2 (télévision française) avec Antoine Spire, Miguel Benassayag et Pascale Casanova, 1990
  • Entretien de Pierre Bourdieu avec Didier Eribon, cassette vidéo du CNRS, 1984.

Prix et distinctions

Notes

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Voir aussi

Articles connexes

Liens externes

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