Souvenirs certifiés - Vev

Souvenirs certifiés

Un article de Vev.

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Souvenirs certifiés

Je me souviens, j’allais avoir quatorze ans, c’étaient les vacances de Pâques. Après ce serait la dernière ligne droite avant le Certificat d’Etudes. Le Certif !… Il fallait s’y préparer sérieusement. Quelle honte pour mes parents si je ne l’obtenais pas. Déjà je subissais des menaces.


- « Fais tes révisions au lieu de rêver. Je te préviens si tu n’as pas ton Certif, tu redoubleras en pension chez les Frères de Saint Christophe, ils seront te mater eux !… »

Faire des révisions !… Ils en avaient de bonnes !… Quand le printemps est là, avec cet appel de la nature qui invite plutôt à aller musarder dans la campagne.

et puis il y avait ce sentiment étrange que mon enfance était en train de m’échapper. Il fallait que j’en profite à pleins poumons avant de devenir trop sérieux.


Je me souviens, ce matin là, le Docteur LE QUINIO était venu visiter ma grand-mère qui se plaignait de je ne sais plus quelle douleur. Le bon docteur qui me connaissait depuis toujours avait jeté sur moi un regard professionnel et inquisiteur, et m’avait lancé :

- «  Dis-donc Jean-Jean, t ‘as grandi toi … et tu m’as l’air un peu fatigué, non ?… »

Le médecin venait d’ouvrir une brèche dans laquelle ma mère s’engouffra aussitôt , pour raconter avec des accents désespérés, le martyre que je lui faisais endurer.

-«  Ah ! Docteur si vous saviez les soucis qu’il me donne, c’est une vraie « tête en l’air ». Pas moyen de le faire travailler, il est de plus en plus étourdi… si je vous disais que pas plus tard qu’hier soir…

J’avais tout de suite compris. Il fallait que je trouve un moyen de m’échapper si je ne voulais pas subir l’interminable litanie des griefs que ma mère, trop heureuse d’avoir trouvé une oreille ou s’épancher, allait débiter contre moi.

Je prétextais l’obligation d’aller réparer le pneu crevé de mon vélo, et m’éclipsais sans plus attendre.

En fait, j’allais vérifier dans le bois voisin, si la cabane qu’on avait construite dans un arbre avec mes copains, n’avait pas été découverte et détruite par la bande du « Haut Caillou », des petits prétentieux qui se croyaient supérieurs parce qu’ils habitaient sur une colline, et qu’on avait pourtant rossés, pas plus tard que jeudi dernier.


Je suis revenu une demi-heure plus tard. Tout de suite ma mère m’a interpellé :

-«  Alors, il est réparé ton vélo ? »

-« Ben non, j’avais plus de rustines. »

-«  Ca tombe bien. Tu vas aller à pied jusqu’au bourg, ça te fera de l’exercice. Le docteur t’a prescrit un médicament.

Elle s’arrêta un instant puis reprit en appuyant bien sur chaque mot.

-« C’est très important pour toi, pour ta réussite scolaire. Allez, file à la pharmacie. »

Elle me tendit un billet de dix francs à l’effigie de Richelieu. Je connaissais tout du prélat à la barbichette : le Ministre de Louis XIII, le siège de La Rochelle, l’interdiction des duels, la journée des Dupes… Ah ! si je pouvais tomber sur lui au Certif’, j’étais incollable !…


Je suis donc parti, trop heureux de me retrouver enfin seul et libre. Rapidement j’ai quitté la route goudronnée,

n’ayant pas envie d’être pris par la voiture d’un voisin croyant me rendre service. J’ai bifurqué vers le petit sentier qui descend jusqu’au ruisseau puis remonte à flanc de coteau jusqu’au village.

Le soleil commençait à être haut dans le ciel. Une douce chaleur s’installait dans le vallon. L’air transportait des effluves embaumés, glanés à travers les frondaisons des arbres et des buissons. Ah ! quel bonheur de marcher ainsi sans le poids d’un cartable plein de livres et de cahiers !

C’est en entendant le roucoulement du ruisseau, que je me suis rappelé que l’avant veille j’avais posé une nasse pour prendre des écrevisses. Dédé, mon copain de la ferme d’à-côté, s’était procuré une tête de mouton qu’on avait laissé faisander pendant plusieurs jours : un appât irrésistible pour les petits crustacés !…

En arrivant à l’endroit, je me suis tout de suite rendu compte que quelque chose n’allait pas. La ficelle qui retenait la nasse n’était plus nouée de la même façon. Quand je l’ai relevée, il n’y avait rien dedans. Ce n’était pas possible ! Sûrement encore un coup de la bande du « Haut Caillou ». Ils ne perdaient rien pour attendre ceux-là !…

Le concert des oiseaux qui se répondaient de branche en branche, m’a vite fait oublier ma déconvenue. Bientôt je quittais l’abri du bois pour retrouver sur la partie découverte et caillouteuse qui remonte vers le village. Déjà j’apercevais le clocher de l’église. Avant l’entrée du bourg, le sentier s’engageait entre les murets de pierres qui abritaient des jardins potagers. A nouveau d’autres odeurs, plus rustiques, me chatouillaient les narines.

Je débouchais enfin juste derrière le presbytère aux murs rongés par le lierre et qui bourdonnait d’insectes.

Après avoir contourné l’église, je me retrouvais sur la place du village. Devant moi apparaissait l’opulente devanture de la pharmacie, entre l’épicerie de la Mère CORNET et le café « Aux bons amis » du Père CABIRON, ou l’on vendait une autre sorte de médicament.


C’est en me dirigeant vers la pharmacie, que, juste au coin du monument aux morts, j’ai rencontré Aglaé.

Ah ! Aglaé !… On se connaissait depuis la Maternelle, on était toujours dans la même classe.

Je me souviens, à la fin du cours préparatoire, lors de la Kermesse de l’école, on avait joué une petite saynète devant les parents.

Aglaé tenait le rôle d’une jeune bergère, tout de blanc vêtue, qui repoussait tous ses prétendants car leur métier ne lui convenait pas. C’est alors que j’arrivais avec un tablier, un chapeau de paille et un râteau à la main. Les enfants se mettaient à chanter :


Mais elle veut bien d’un jardinier )

c’est un gentil petit métier ) bis

la verdurette, durette

la verdurette des bois.


Je partais alors bras dessus, bras dessous avec Aglaé sous les applaudissements du public et les regards jaloux de nos petits camarades.


A partir du cours moyen, on nous avait séparé, hélas !… Les garçons d’un coté, les filles de l’autre. J’apercevais parfois Aglaé dans l’autre cour séparée par un grillage et une haie de troènes. Je la voyais sauter à la corde avec ses chaussettes blanches et sa jupe plissée qui volait au- dessus de ses genoux, ce qui me fascinait et me troublait à la fois.

Aujourd’hui, de la voir de nouveau devant moi, je ressentais la même émotion, plus intense peut-être. Elle avait changé. Bien que j’eusse quelques mois de plus qu’elle, je me sentais décalé. Elle était presque aussi grande que moi. Sa poitrine gonflait le polo blanc qu’elle portait. La jupe plissée avait fait place à un jean à patte d’éléphant qui épousait la forme prometteuse de son corps. Tout cela me rendait presque timide. C’est tout juste si j’arrivais à lui balbutier une ou deux banalités, sur l’école, les vacances… J’essayais aussi une ou deux plaisanteries. Aglaé, bonne fille, riait en rejetant sa tête en arrière, ses longs cheveux blonds tombaient presque à la cambrure de ses reins…

« Ah ! Jean-Jean, tu n’as pas changé… » disait-elle, en plongeant son regard dans le mien.

Mon Dieu qu’elle était belle !…


Soudain, j’ai sursauté ! Derrière nous le carillon de l’église se mit à sonner midi ! Il fallait que je parte illico, mes parents ne toléraient aucun retard pour le repas. Je pris brutalement congé d’Aglaé, sûr qu’elle ne me pardonnerait jamais cette impolitesse.


J’ai couru jusqu’à la maison, directement par la route, sans m’égarer vers le sentier et le ruisseau.

C’est en franchissant la barrière de notre jardin, que je me suis rendu compte que j’avais oublié d’acheter le médicament pour me stimuler la mémoire !


Il n’empêche que je l’ai eu mon Certificat d’Etudes. Même que j’ai été reçu premier des garçons !

Et Aglaé, première des filles, d’ailleurs.

Quoi ! Vous ne me croyez pas ? on va lui demander…

- «  Aglaé !… Aglaé ?… »

- «  Ah ! C’est vrai elle n’est pas là. Elle est partie conduire nos enfants à l’école. Mais quand elle rentrera, elle vous le dira, car ça, ce sont des choses dont on se souvient toute sa vie.